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Le Vieillard du Restelo et Singularités d’une jeune fille blonde de Manoel de Oliveira

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Singularités d'une jeune fille blonde1

Manoel de Oliveira s’est éteint le jeudi 2 avril 2015 à l’âge de 106 ans. Pour saluer le grand cinéaste portugais ARTE diffuse dans la nuit du jeudi 9 avril son dernier court métrage (à 0h20) et l’un des plus beaux films de sa fin de carrière, tous deux soutenus par ARTE.

En 2014 Manoel de Oliveira avait trouvé la force de réaliser Le Vieillard du Restelo (O Velho do Restelo), présenté hors compétition à la Mostra de Venise.

« Une plongée libre et désespérée dans l’Histoire telle qu’elle s’est déposée, comme un limon fertile, dans la mémoire de Manoel de Oliveira. Il réunit sur un banc du 21ème siècle Don Quichotte, le poète Luis de Camões, les écrivains Teixeira de Pascoaes et Camilo Castelo Branco. Ensemble, emportés par les mouvements telluriques de la pensée, ils dérivent entre passé et présent, défaites et gloire, vanité et folie, à la recherche de l’inaccessible étoile. »

Ce court métrage de 19 minutes avait été tourné à Porto avec Diogo Dória, Luís Miguel Cintra, Ricardo Trêpa, Mário Barroso (ci-dessous en photo sur le tournage du film), soit les plus fidèles acteurs du maître portugais, réunis pour des adieux pessimistes et déchirants. Comme cette année Jean-Marie Straub et son Kommunisten, Manoel de Oliveira intégrait dans cet ultime opus des extraits de certains de ses grands films précédents.

Le Vieillard du Restelo de Manoel de Oliveira

 

Singularités d'une jeune fille blonde

Singularités d’une jeune fille blonde

Singularités d’une jeune fille blonde (Singularidades De Uma Rapariga Loira, 2009) compte parmi les plus beaux films de Manoel de Oliveira et confirme sa proximité avec Bunuel. Comme Cet obscur objet du désir, Singularités… est le récit d’une passion malheureuse racontée par son personnage principal à une inconnue dans un train. Comme dans Belle de jour, la blondeur immaculée de la jeune femme bourgeoise dissimule un secret, un vice, une névrose. De Bunuel à Hitchcock il n’y a qu’un pas et le film de Oliveira dialogue aussi avec ceux du maître anglais, ses héroïnes frigides et kleptomanes. Les trois grands cinéastes d’inspiration catholique partagent un sens commun de l’érotisme et du péché, montrant le moins pour exprimer le plus avec un goût du détail qui confine au fétichisme.
Luísa (la très belle Catarina Wallenstein) est sœur de Marnie et de Séverine, mais aussi de Madeleine / Judy (Kim Novak dans Sueurs froides) puisqu’elle est pour le narrateur un fantasme, un trophée, une poupée sur laquelle il projette ses désirs (moins sexuels que de réussite et d’intégration sociales) et qu’il jette et méprise lorsqu’il en découvre la faille, la souillure allégorique qui symbolise la peur des hommes devant les mystères de la sexualité féminine, à l’instar des grands paranoïaques décrits par Bunuel. L’image finale du film, impressionnante, est celle d’un mannequin désarticulé, qui perd son charme et son pouvoir de fascination, anéantie par l’ordre moral et le regard accusateur de son fiancé. Chez Oliveira la femme « est » le pantin. Conclusion cruelle, implacable pour l’un des chefs-d’œuvre de Oliveira, paradoxalement féministe, qui avec ce film et les deux suivants, L’Etrange Affaire Angelica et Gebo et l’ombre, arrivera à une épure classique de son art.

Manoel de Oliveira

Manoel de Oliveira

Le Vieillard du Restelo et Singularités d’une jeune fille blonde seront tous deux disponibles en Replay sur ARTE+7.

 

Texte écrit au moment de la sortie de Gebo et l’ombre

http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2012/10/02/gebo-et-lombre-de-manoel-de-oliveira/

Texte écrit à l’occasion de la rétrospective des films de Manoel de Oliveira à la Cinémathèque française

http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2012/09/06/retrospective-manoel-de-oliveira-a-la-cinematheque-francaise/

 

 

 

 

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Rétrospective et exposition Michelangelo Antonioni à la Cinémathèque française

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Du 9 avril au 19 juillet 2015 la Cinémathèque française consacre une rétrospective de tous les films de Michelangelo Antonioni (photo en tête de texte) accompagnés d’une exposition « Antonioni – aux origines du pop » conçue par Dominique Païni qui décrypte l’influence du cinéaste italien à partir de ses archives, toujours témoin de son époque et même précurseur de nouvelles formes artistiques, des années 60 à nos jours.

Né en 1912 à Ferrare, Michelangelo Antonioni est l’assistant de Marcel Carné sur Les Visiteurs du soir, puis journaliste, scénariste de De Santis (Chasse tragique) et Fellini (Courrier du cœur). Il réalise sept courts métrages documentaires remarquables : les plus fameux abordent des sujets sociaux et polémiques – Les Gens du Pò, Nettoyage urbain, Suicides manqués dans le film collectif L’Amour à la ville – caractérisés par une inspiration néo-réaliste que le cinéaste a expérimenté très tôt – simultanément au tournage de Ossessione de Visconti mais qu’il délaissera bientôt.

Chronique d'un amour

Chronique d’un amour

Dès son premier long métrage, Chronique d’un amour en 1950, Antonioni témoigne d’une maîtrise, d’une perfection et d’une sophistication qui ne fera que croître dans les chefs-d’œuvre suivants. Antonioni dira en 1960 dans un entretien accordé aux Cahiers du cinéma : « Une image n’est essentielle que si chaque centimètre carré de l’image est essentiel ». Chronique d’un amour débute comme une enquête policière, de même La Dame sans camélias (1953), aura d’abord les attraits d’une satire ironique du monde du cinéma. À partir d’un matériau conventionnel, le cinéaste invente une nouvelle forme d’écriture cinématographique, constituée de ruptures, de mystères et de béances, offre une étude fouillée de l’âme humaine, une radioscopie de l’angoisse et du désespoir qui frappent des personnages ancrés dans leur époque. Après Femmes entre elles (1955), son premier succès public d’après Cesare Pavese, et Le Cri (1957) qui ouvre la voie d’un cinéma nouveau, L’avventura (1960) occupe dans l’œuvre d’Antonioni la même place que La dolce vita dans celle de Fellini.

L'avventura

L’avventura

C’est un geste de rupture, une avancée vers des territoires cinématographiques inexplorés, plus radical encore que l’expérience de Fellini qui prend la forme d’un « trip » excitant et ménage aux spectateurs quelques repères et signes de reconnaissance. Ici le scénario classique se dérègle très vite. Construit autour du vide, soit la disparition prématurée et définitive d’un de ses personnages principaux, L’avventura emprunte d’abord les poncifs du drame mondain (voire du roman-photo), puis de l’intrigue policière, pour s’en détacher totalement. Cette démarche esthétique était déjà à l’œuvre dans les précédents films d’Antonioni, mais elle s’opère ici d’une manière beaucoup plus affirmée. Plus proche de la peinture que du roman classique, le cinéma d’Antonioni part à la recherche de la sensation pure, scrute les affects et les névroses de ses héroïnes, la faiblesse morale et sensuelle de ses personnages masculins, sans l’intermédiaire des dialogues. Cette aventure fondatrice du cinéma moderne se poursuit avec La Nuit (1960) et L’Éclipse (1962), qui enregistrent l’agonie, la rupture ou l’impossibilité ontologique de couples à la dérive, évoluant dans des environnements urbains glacés et déshumanisés qui subissent des processus de désertification allégoriques. Les surfaces de verre et de béton, les espaces vides en noir et blanc deviennent le décor métaphorique de la solitude et de l’angoisse existentielle. Le couple de L’Eclipse s’absente de la fin du film, remplacé par une succession de plans architecturaux et nocturnes désertés par la figure humaine.

Le Désert rouge

Le Désert rouge

Premier film en couleurs d’Antonioni, Le Désert rouge (1964) est une œuvre clé dans sa filmographie. Il marque l’accomplissement de sa collaboration avec Monica Vitti, et l’ouverture vers des recherches plastiques sidérantes de sophistication. Proches de la perfection et d’un raffinement inouï dès Chronique d’un amour, la composition du cadre et le travail sur la profondeur de champ s’enrichissent dans Le Désert rouge d’interventions audacieuses du cinéaste et de son directeur de la photographie, Carlo Di Palma, sur la couleur. Antonioni n’hésite pas à modifier les teintes des paysages et des constructions afin d’obtenir une texture d’images capable d’exprimer le malaise de sa protagoniste. Le Désert rouge est impressionnant par la façon dont le cinéaste parvient à décrire un site urbain en même temps que le paysage mental tout aussi « mutant » de son héroïne, et à enregistrer l’inadaptation au monde des êtres qui l’habitent, qui se réfugient dans l’immobilité ou la fuite. Le Désert rouge est, après L’avventura, la seconde étape décisive d’Antonioni vers un cinéma qui dépasse la psychologie et le réalisme pour parler du monde visible (la modernisation de la société italienne, la mutation de l’environnement, la crise du couple) et invisible (la névrose de son héroïne) par des taches de couleurs ou des plans à la frontière de l’abstraction.

Blow Up

Blow Up

Après quatre films interprétés par Monica Vitti, Antonioni quitte l’Italie et délaisse par la même occasion ses personnages de femmes pour suivre les errances métaphysiques d’archétypes masculins habités par un désir vague de fuite, une pulsion morbide qui les achemine vers le dédoublement, la solitude, la disparition, la mort. Blow Up (1967), Palme d’or au Festival de Cannes, est un récit policier sans résolution, réflexion brillante sur l’art et la réalité, dans lequel l’agrandissement d’une image photographique permet l’apparition puis la disparition de la preuve d’un meurtre. Après ce triomphe critique et commercial, Antonioni choisit de radicaliser sa démarche d’artiste et de voyageur. Il s’embarque pour des aventures aussi cérébraux que géographiques, et des expériences inédites où les innovations techniques sidérantes (les explosions finales au ralenti de Zabriskie Point (1970), l’avant-dernier plan à 360 degrés de Profession : reporter dans lequel la caméra s’envole à travers les barreau d’une fenêtre (1974), s’accompagnent d’un ton de plus en plus désenchanté. Zabriskie Point part à la rencontre de la jeunesse contestataire américaine mais aussi des immensités désertiques de la Vallée de la Mort, regard critique d’un artiste Italien sur les États-Unis, sa société consumériste mais aussi son cinéma. Le film est une variation sur La Mort aux trousses, et l’œuvre d’Antonioni entretient avec celle de Hitchcock une étrange et fascinante relation qui pourrait résumer celle qui lie le cinéma moderne au cinéma classique.

Zabriskie Point

Zabriskie Point

Chef-d’œuvre absolu, aboutissement d’années de réflexions et de voyages, Profession : reporter avec Jack Nicholson est aussi le film le plus lumineux d’Antonioni, même si la mort y rôde du début à la fin. Le projet d’échange d’identité du reporter, poursuivi à la fois par des tueurs et la curiosité de sa femme, est voué à l’échec, mais il parvient, un bref moment à « devenir lui-même » en volant la vie d’un autre, à goûter à la liberté véritable et découvrir, comme le notait Alberto Moravia au sujet du film, que l’homme n’existe vraiment qu’en dehors de la société.

Profession : reporter

Profession : reporter

 

Identification d'une femme

Identification d’une femme

De retour à Rome après de nombreux tournages dans le monde entier, Antonioni n’abandonne pas avec Identification d’une femme (1982) ses thèmes de prédilection comme l’absence et l’errance. Un cinéaste double d’Antonioni, Nicolo (Tomas Milian), à la recherche d’un personnage féminin pour son film, rencontre successivement deux jeunes femmes, l’aristocrate Mavi qui disparaît et Ida qui prend sa place, elle aussi androgyne et mystérieuse, presque son double. Le scénario ressemble à une enquête policière dénuée d’action, dont la plupart des pistes n’aboutissent nulle part. On ne saura jamais qui est l’instigateur des menaces dont est victime Nicolo. La tentative – avortée – d’identification ne se limite certes pas à retrouver Mavi ni même à éclaircir sa psychologie. Le cinéaste cherche avant tout à percer le secret de la jouissance de la jeune femme, et la révélation de sa bisexualité n’y apporte qu’une réponse superficielle. Le film marque l’aboutissement magnifique du travail formel d’Antonioni, à la fois virtuose et « techniquement doux » (la fameuse scène de la route noyée de brouillard, lointain écho au Désert rouge). Antonioni n’est pas seulement un des plus grands artistes de la modernité, c’est aussi un cinéaste de la jeunesse, de la contemporanéité et de la mode. Après la société mondaine de Turin dans Femmes entre elles, le « swingin’ London » de Blow Up et l’Amérique hippie de Zabriskie Point, Identification d’une femme propose la radioscopie exacte de l’Italie des années 80, assombrie par le terrorisme, sinistre et vulgaire, entre repli aristocratique et triomphe de la petite-bourgeoise. L’utilisation de rock planant et de comédiens venus du cinéma commercial, témoigne de cette volonté de trivialité associée au raffinement du film, réponse aux « Fragments d’un discours amoureux » de Roland Barthes passé au filtre du « giallo » – correspondances entre Identification d’une femme et Ténèbres de Dario Argento, tournés la même année. Où partir filmer après l’Angleterre, les États-Unis, l’Espagne mais aussi l’Afrique, l’Inde, la Chine (le documentaire controversé Chung Kuo, la Chine, 1972) ? Antonioni traite son unique incursion dans le passé sur un mode expérimental et futuriste. Fait exceptionnel à l’époque, il tourne en vidéo Le Mystère d’Oberwald (1981), d’après L’Aigle à deux têtes de Cocteau (encore une histoire de double), ce qui lui permet de se livrer à des recherches chromatiques surprenantes, mais avec un résultat décevant en raison d’un projet trop éloigné des préoccupations du cinéaste et d’une technique encore balbutiante. La piste de la science-fiction est évoquée lors du plan final d’Identification d’une femme, l’idée d’un film futuriste, mais aussi d’un thriller se déroulant sur un bateau – The Crew – est alors caressée par Antonioni. En 1985 Antonioni est victime d’un AVC qui le laissera partiellement paralysé, presque totalement privé de l’usage de la parole jusqu’à sa disparition en 2007. Malgré la maladie qui ralentit ses activités il ne renoncera jamais à la mise en scène et au cinéma. De tous ses projets avortés, le cinéaste ne retiendra que la caresse, en consacrant ses derniers films, à partir d’Identification d’une femme (le film à épisodes Par-delà les nuages, le segment « Il filo pericoloso delle cose » du film collectif Eros) à l’exploration de l’érotisme, affirmation triomphante d’un désir de vie, d’une curiosité obsessionnelle pour les femmes et d’une sensualité répétée jusque dans ses films les plus désespérés. Son geste ultime de création cinématographique trois ans avant sa mort, le magnifique court métrage Le Regard de Michelangelo, montre le cinéaste dans un face à face muet avec la sculpture de Moïse exécutée par Michel-Ange, intégrée au tombeau du Pape Jules II dans la basilique de San Pietro in Vincoli à Rome.

 

 

 

Partenaire de la Cinémathèque française, ARTE diffusera lundi 13 avril en deuxième partie de soirée à l’occasion de la rétrospective Michelangelo Antonioni l’un des plus beaux films du réalisateur italien, L’Eclipse, sur lequel nous reviendrons bientôt.

 

 

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L’Eclipse de Michelangelo Antonioni

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A l’occasion de la grande rétrospective et exposition Michelangelo Antonioni à la Cinémathèque française ARTE diffuse lundi 13 avril à 22h30 l’un des chefs-d’œuvre du cinéaste italien, L’Eclipse (L’eclisse, 1962), qui ressort également en salles mercredi 15 avril distribué par Tamasa, et à la vente en DVD et Blu-ray chez Studiocanal dans une version HD restaurée et remasterisée.

Dernier film en noir en blanc d’Antonioni, L’Eclipse clôt après L’avventura et La Nuit une trilogie sur le couple, ou plutôt son impossibilité. La crise que constate L’Eclipse dépasse celle de la conjugalité ou des relations amoureuses : elle concerne la société occidentale engouffrée dans un matérialisme stérile.

Monica Vitti et Alain Delon dans L'Eclipse

Monica Vitti et Alain Delon dans L’Eclipse

L’Eclipse adopte le point de vue de Vittoria (Monica Vitti), une jeune femme qui cherche un sens à sa vie au-delà des apparences de bonheur et de confort, pose un regard poétique et moral sur les êtres et les choses qui l’entourent, à l’instar du cinéaste qui l’aime et qui la filme.

L’Eclipse est d’abord un film dans lequel Antonioni sublime la beauté et les talents d’actrice de son égérie Monica Vitti, sans oublier Alain Delon parfait en courtier aussi séduisant que cynique, dont la conception de l’existence se situe à l’opposé des questionnements philosophiques de la jeune femme.

Cette disparition si spectaculaire et si souvent commentée de la présence humaine à la fin de L’Eclipse, Antonioni l’anticipe dès la première séquence du film – une rupture presque muette dans un appartement, au petit matin, dans la périphérie anonyme de Rome, et tout au long de sa mise en scène. Antonioni esquisse l’idée d’un cinéma non figuratif, qui se rapprocherait de l’architecture et de l’art abstrait, en vidant de nombreux plans ou amorces de plan du corps de ses acteurs, ou en les filmant de dos. On ne compte plus les plans dans lesquels la chevelure blonde de Monica Vitti occupe le premier plan de l’image, accentuant à la fois la subjectivité du film et la dimension plastique de ce dernier, où le cadre, les lignes et les volumes créent un cinéma ouvertement pictural.

Cette prédominance des objets et des surfaces de pierre ou de verre dans L’Eclipse – grand film sur l’urbanisme – exprime la glaciation des sentiments, la froideur et l’inhumanité du monde moderne dominé par l’argent. Les scènes à la Bourse de Rome observent une micro société régie par des règles mystérieuses, avec des individus hystérisés par les flux monétaires, jouant – et perdant – des millions en quelques secondes, une perte d’énergie comme une perte de sens. Rien n’a vraiment changé depuis 1962 et il est même étonnant de voir comment Antonioni, homme et artiste de son temps, a régulièrement prophétisé les métamorphoses de la civilisation occidentale, avec le triomphe du consumérisme et de la déréalisation, ce sentiment d’étrangeté par rapport au monde au cœur de ses films.

 

 

 

 

 

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Le Solitaire et Hacker de Michael Mann

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L’actualité cinéphilique nous permet d’admirer au même moment mais sur des supports différents le premier et le dernier film en date d’un cinéaste à part dans le cinéma américain contemporain. Wild Side vient de sortir Le Solitaire (Thief, 1981) de Michael Mann dans une superbe édition blu-ray, accompagné d’un livre d’entretiens avec son réalisateur signé Michael Henry Wilson, critique de cinéma décédé en 2014.

Frank (James Caan) mène une double vie après avoir passé une grande partie de sa jeunesse en prison. Il pactise avec un caïd sans foi ni loi dans l’espoir de réaliser un dernier gros coup, se retirer des affaires et fonder une famille.

James Caan dans Le Solitaire

James Caan dans Le Solitaire

Il s’agit du premier long métrage de cinéma de Michael Mann qui avait fait ses débuts à la télévision. Il avait réalisé trois ans plus tôt Comme un homme libre (The Jericho Mile) produit pour le petit écran mais distribué dans les salles en dehors des Etats-Unis, à l’instar de Duel de Steven Spielberg. Comme un homme libre racontait l’histoire d’un condamné à perpétuité aux talents de sprinter exceptionnels qui s’entrainait à la course dans la cour de sa prison en Californie.

Dans la continuité de ce téléfilm très réussi Le Solitaire dresse le portrait d’un homme qui a grandi en prison, sans aucune éducation, et dont le comportement est celui d’un sociopathe. Il rend régulièrement visite à son mentor qui l’a aidé a survivre derrière les barreaux est qui est en train de mourir d’un cancer. A la tête d’une société écran – un garage et concessionnaire automobile – il exerce son art la nuit – perceur de coffre-fort. Le Solitaire est adapté d’un roman – The Home Invaders de Frank Hohimer – mais il doit beaucoup à l’expérience et aux informations accumulées par Michael Mann dans sa jeunesse et lors de la préparation du film.

Michael Mann est natif de Chicago, où se déroule Le Solitaire. Il connaît sur le bout des doigts sa ville, sa pègre et sa police et Le Solitaire bénéficie d’une approche ultra documentée sur les habitudes, les attitudes, les armes et l’outillage des gangsters qui irriguera par la suite ses autres polars ou ses thrillers high-tech. Cela ne rend pas le cinéma de Mann réaliste pour autant. Dès Le Solitaire Mann opte pour le maniérisme et peaufine un cinéma d’ambiances urbaines, avec un goût pour les images nocturnes, les déplacements en voitures et les éclairages au néon que le cinéaste n’aura aucun mal à amplifier lors de son passage remarqué au numérique sur Collateral. Mann a une tendance à l’hyper stylisation et à la pyrotechnie et aime des moments opératiques de pure mise en scène, comme ces explosions de violence qui concluent souvent ses films. Le Solitaire ne fait pas exception à la règle, il ouvre même la voie au Sixième Sens et à Heat, sans oublier son retour à la télévision et la série Deux Flics à Miami.

Le Solitaire de Michael Mann

Le Solitaire de Michael Mann

Si Le Solitaire reste l’un des meilleurs films de Mann, c’est parce que son esthétique clinquante est déjà au rendez-vous moins les effets de signature, et qu’il faudra attendre ses expérimentations haute définition pour que le cinéaste apporte quelque chose de neuf à sa vision du néo film noir. Il y a tout Heat dans Le Solitaire, quatorze ans plus tôt et en beaucoup mieux. C’est James Caan qui nous l’avait dit à Cannes en 2000 – à l’occasion de la projection de The Yards de James Gray – et il avait raison. A la revoyure, cela saute aux yeux : mêmes situations, mêmes scènes et mêmes personnages. Ce sont ces derniers – et les acteurs qui les interprètent – qui font la différence. James Caan est magnifique dans le rôle de Frank, qu’il parvient à rendre crédible et émouvant – voir la scène du diner où il raconte son expérience carcérale à la femme qu’il veut épouser. Idem pour Tuesday Weld, actrice rare et précieuse qui a illuminé de sa présence quelques grands films des années 70 et 80, après ses débuts d’adolescente vedette à Hollywood.

James Caan et Tuesday Weld dans Le Solitaire

James Caan et Tuesday Weld dans Le Solitaire

Le péché mignon de Michael Mann, c’est la musique. En 1981, pour rompre avec toute tentation naturaliste, il confie la bande originale du Solitaire au groupe de rock planant allemand Tangerine Dream, qui venait de composer la musique cauchemardesque de Sorcerer de Friedkin. Friedkin est un autre natif de Chicago et son cadet Michael Mann a toujours chercher à le provoquer sur son propre terrain, à savoir le polar viril et la virtuosité cinématographique. La compétition battra son plein entre les deux hommes au milieu des années 80 avec le duel Police fédérale, Los Angeles / Le Sixième Sens. Qui s’achèvera par un ex-æquo devant l’autel de l’imagerie eighties.

La musique de Tangerine Dream est parfaite lors des scènes époustouflantes de perçages de coffre-fort au début et au milieu du film. On est moins convaincu par la fusillade finale sur une musique rock très datée.

Revoir Le Solitaire permet aussi de vérifier l’influence considérable qu’il a pu avoir sur le Drive de Nicolas Winding Refn, qui s’inspire du premier film de Mann encore plus que de Driver de Walter Hill.

Revoir Le Solitaire en Blu-ray à quelques jours de la découverte de Hacker (Blackhat, 2015) sur grand écran confirme que Mann est de plus en plus tenté par la stylisation sur des sujets appartenant aux genres populaires (hier le polar dur à cuire, aujourd’hui le cyber thriller) avec désormais une pincée de géopolitique. Cette course poursuite qui conduit ses séduisants héros et les spectateurs jusqu’à Hong Kong, Jakarta ou Kuala Lumpur oublie les lois de l’image action et du divertissement hollywoodien pour s’étourdir de sa propre beauté, avec des textures d’images et de sons qui confinent à l’abstraction. Mann propose d’ailleurs un voyage sensuel de la virtualité pure – la caméra qui se faufile au cœur de logiciels – à l’affirmation la plus brutale des corps – le carnage final et le duel à l’arme blanche, en passant par des séquences qui oscillent toujours entre rétention et explosion. Cette gestion insolite de l’espace et du temps que Mann prend plaisir à rendre extatique – comme dans Collateral et Miami Vice – Deux Flics à Miami – nous rappelle que Mann n’est jamais meilleur que lorsqu’il filme une métropole la nuit, la naissance muette du désir entre un paria de la société et une femme aussi belle que déterminée, et des déchainements de testostérone d’une horde de mâles surarmés, improbable et fascinant chainon manquant entre Michelangelo Antonioni et Sam Peckinpah.

Hacker de Michael Mann

Hacker de Michael Mann

 

 

 

 

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Les Tueurs de Robert Siodmak et À bout portant de Don Siegel

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Ciné Sorbonne ressort le 15 avril dans la salle de la Filmothèque du Quartier Latin et au cinéma Mac Mahon à Paris – une distribution en province suivra – Les Tueurs (The Killers, 1945) de Robert Siodmak et À bout portant (The Killers, 1964) de Don Siegel.

Un film et son remake. Ou plus précisément deux adaptations cinématographiques différentes de la même nouvelle de Ernest Hemingway publiée pour la première fois en 1927. Mais surtout deux moments de l’histoire du cinéma américain, deux œuvres symptomatiques des mutations esthétiques et industrielles survenues à Hollywood entre les années 40 et 60.

Le long métrage de Siodmak est un titre canonique du film noir. Tous les ingrédients sont réunis pour aboutir à un chef-d’œuvre absolu du genre. Le scénario est signé Anthony Veiller mais John Huston et Richard Brooks auraient participé à son écriture. Le film ne retient que le point de départ de la nouvelle de Hemingway, avec l’arrivée des deux tueurs et l’exécution de leur contrat. Ensuite, tout ou presque a été inventé par les scénaristes. Un courtier d’assurance mène l’enquête et interroge plusieurs témoins afin de comprendre les raisons et les circonstances du meurtre de son client. Le récit est ainsi constitué d’une série de retours en arrière avec une vision fragmentaire de l’histoire et du personnage du « Suédois » qui s’éclairent à fur et à mesure que le film avance. La structure narrative des Tueurs et son esthétique glacée en font un modèle indépassable, avec quelques autres titres, du film noir hollywoodien des années 40. C’est une véritable mécanique d’horloger où chaque élément est parfaitement à sa place, et dessine une vision du monde d’un pessimisme radical, où le protagoniste – un perdant, un ange déchu – avance inexorablement vers la mort, et où la femme est forcément fatale et d’une beauté vénéneuse. Le film de Siodmak fera de Burt Lancaster et Ava Gardner, au début de leurs carrières respectives, des stars. On peut comprendre pourquoi en revoyant Les Tueurs, qui sublime ses deux interprètes principaux, au charisme extraordinaire. Ava Gardner reste dans ce film l’une des apparitions les plus érotiques de l’histoire du cinéma.

Burt Lancaster et Ava Gardner dans Les Tueurs

Burt Lancaster et Ava Gardner dans Les Tueurs

 

À bout portant (The Killers, 1964) est une nouvelle adaptation des « Tueurs » de Ernest Hemingway. Initialement tournée pour la télévision, cette version fut jugée beaucoup trop violente pour le petit écran et bénéficia d’une sortie en salles aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Le film de Don Siegel, cinéaste spécialiste de l’action, a l’audace d’adopter le point de vue de deux tueurs cyniques qui enquêtent sur l’homme qu’ils viennent de tuer froidement, dans l’espoir de mettre la main sur de l’argent volé. Il respecte en cela la nouvelle de Hemingway davantage que le film de Siodmak, qui écartait très vite les tueurs du titre de son scénario. Mais cette quête vénale se double d’une autre interrogation : pourquoi Johnny North (John Cassavetes) n’a-t-il opposé aucune résistance aux visiteurs venus le supprimer? Sous ses allures de série B télévisuelle, À bout portant marque un jalon dans le cinéma américain des années 60. Don Siegel signe une œuvre très stylisée, notamment dans l’utilisation de la couleur, le déroulement du récit en discours rapporté et la caractérisation des personnages, à deux doigts de l’inhumanité. Il annonce certains titres importants du thriller moderne comme Le Point de non retour de John Boorman (qui réunira à nouveau Angie Dickinson et Lee Marvin) et présente des similitudes avec le cinéma à la fois brutal et sophistiqué de Sam Peckinpah. Ronald Reagan, dans son ultime apparition cinématographique, joue un salaud pour la première fois et se fait casser la gueule par John Cassavetes. Tout un symbole. À bout portant est un faux film modeste qui sonne le glas, par sa violence formelle, d’une certaine idée du cinéma américain classique et « heureux », du « glamour » hollywoodien, et ouvre une ère violente, marquée par le malaise, la trivialité et l’inquiétude.

Clu Culager et Lee Marvin dans A bour portant

Clu Gulager et Lee Marvin dans A bout portant

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Jauja de Lisandro Alonso

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Le magnifique Jauja de Lisandro Alonso sort mercredi 22 avril dans les salles françaises, distribué par Le Pacte, après sa présentation au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard l’année dernière.

La Conquête du Désert (1878-1885) fut une campagne militaire menée contre les peuples amérindiens, par laquelle le gouvernement argentin prit le contrôle des territoires de la Pampa et de la Patagonie. Dès 1800, des pays comme la France, l’Angleterre et le Danemark avaient organisé des excursions visant à explorer la région, prendre connaissance de son potentiel économique et établir des relations entre les différentes autorités.

Viggo Mortensen dans Jauja

Viggo Mortensen dans Jauja

C’est dans ce contexte historique que se situe Jauja (titre qu’on pourrait traduire approximativement par « Pays de Cogagne »), premier film de Lisandro Alonso à ne pas se dérouler à l’époque contemporaine. Premier film aussi à être interprété par des acteurs professionnels (Viggo Mortensen en tête, également coproducteur du film) et à contenir autant de dialogues, brisant – toutes proportions gardées – le mutisme des œuvres précédentes du cinéaste argentin. On y en parle en effet de choses étranges qu’on ne verra jamais à l’écran – la légende d’un officier déserteur devenu fou et cavalant déguisé en femme – mais on y voit aussi des choses indicibles qui défie tranquillement la raison. Si Jauja marque un nouveau départ dans la carrière de Lisandro Alonso, il ne s’agit en rien d’un renoncement ou d’un assagissement, vers un cinéma plus traditionnel. Alonso envisage toujours le cinéma comme un voyage sensoriel et mental dans une nature sauvage et inhospitalière. Si Jauja est le film le plus narratif de Lisandro Alonso, c’est aussi celui dont la dimension fantastique et même métaphysique apparaît le plus clairement.

L’explorateur danois Gunnar Dinesen et sa fille Ingeborg, une très belle adolescente, voyagent dans des terres désertiques, accompagnés par des soldats argentins. Ingeborg tombe amoureuse et s’enfuit avec un jeune homme qui fait partie du petit groupe de son père. Fou d’inquiétude Dinesen se lance à la poursuite des amants en fuite, dans une quête désespérée qui le conduira jusqu’aux confins du monde, où l’espace et le temps se confondent.

S’il fallait trouver un lien secret qui permette de relier entre eux les films énigmatiques de Lisandro Alonso, ce serait peut-être celui de l’amour fou d’un père pour sa fille, déjà présent dans Los muertos et Liverpool, dans lesquels la confusion entre les identités de fille, sœur et femme était entretenue, laissant apparaître le tabou de l’inceste, mélangé à une atmosphère de folie et de meurtre.
Jauja explicite cet attachement obsessionnel et trouble d’un père pour sa fille et l’utilise comme point de départ d’un trip hallucinatoire qui n’a rien à envier au 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick dans le style « éternel retour aux frontières de l’infini » avec métamorphoses, sauts dans le futur et épilogue mystérieux. Si Lisandro Alonso nous emmène aussi loin avec Jauja c’est avant tout grâce à la splendeur absolue de sa mise en scène et de ses images, signées par le directeur de la photographie attitré d’Aki Kaurismäki, Timo Salminen. Tourné en 35mm (comme tous les films de Lisandro Alonso, religieusement dévoué à la pellicule argentique) et en 1.33, Jauja déploie une beauté de chaque plan, composé et cadré comme un western RKO de John Ford avec un Viggo Mortensen probable en John Wayne parlant danois et castillan, magnifique et parfaitement intégré dans l’univers cinématographique de plus en plus fou et de plus en plus génial  – osons le mot – de Lisandro Alonso.

© Paul Blind

Lisandro Alonso (à droite) et ses acteurs Viggo Mortensen et Esteban Bigliardi à Cannes © Paul Blind

 

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Jauja : rencontre avec Lisandro Alonso et Viggo Mortensen

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viggoalonso

A l’occasion de la sortie mercredi 22 avril de Jauja, voici l’entretien avec Lisandro Alonso et Viggo Mortensen réalisé pendant le Festival de Cannes où le nouveau film, génial, du réalisateur argentin était présenté dans la section Un Certain Regard.

Version longue de l’interview :

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Le Port de l’angoisse de Howard Hawks

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ARTE diffuse dimanche 19 avril à 20h45 Le Port de l’angoisse (To Have and Have Not, 1944) de Howard Hawks.

« En 1942, Harry Morgan, le propriétaire d’un yacht à la Martinique, gagne sa vie en emmenant à la pêche de riches touristes. Gérard dit « Frenchy », gaulliste convaincu et patron de l’hôtel où il loge, demande à Harry de l’aider à faire entrer clandestinement dans l’île un chef de la Résistance. D’abord réticent, Harry accepte, acculé par le besoin d’argent. »

Le film serait né d’un pari en forme de défi. Hawks prétend avoir dit à son ami Hemingway qu’il était capable de faire un bon film d’après son plus mauvais roman. Hemingway lui conseilla donc de choisir To Have and Have Not (1937), publié en français sous le titre littéral En avoir ou pas chez Gallimard en 1945.

C’est Jules Furthman et William Faulkner qui se chargèrent de l’adaptation. Plusieurs versions du scénario attestent de nombreuses modifications successives de l’histoire, et c’est Faulkner qui résolut les problèmes de la transposition de l’action de Cuba – comme dans le roman – à la Martinique, territoire français sous juridiction vichyste, procédant aussi à des réécritures tardives pendant le tournage. Rien n’a été gardé du roman, à l’exception du couple principal, dont Hawks et ses scénaristes imaginent la rencontre. La volonté des producteurs de profiter du succès colossal de Casablanca est manifeste et Le Port de l’angoisse reprend certains ingrédients du film de Curtiz, à commencer par sa vedette Humphrey Bogart.

Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans Le Port de l'angoisse

Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans Le Port de l’angoisse

Sous sa désinvolture apparente Le Port de l’angoisse est un modèle touchant à la perfection de l’art hawksien, une leçon de cinéma et de morale, et donc de morale cinématographique. Harry Morgan (Bogart) le héros américain du film, d’abord présenté comme un aventurier cynique, individualiste et matérialiste, finira par s’engager auprès des Résistants gaullistes pour y défendre une valeur encore plus importante que l’argent, la liberté. Morgan connaît aussi les vertus de l’amitié, comme en témoigne sa relation avec le vieil ivrogne Eddie (irrésistible Walter Brennan) sur lequel il veille, et de l’amour. Le coup de foudre entre Harry et Marie, une jeune femme encore plus cynique et effrontée que lui, se prolongera dans la vraie vie puisque Bogart et Lauren Bacall, dont c’est le tout premier film, tomberont amoureux sur le plateau du Port de l’angoisse. Hawks a découvert Lauren Bacall et tel un Pygmalion l’a façonnée selon sa vision idéale de la femme : belle, courageuse et indépendante, avec des « qualités » viriles qui contrastent avec son élégance et sa sophistication. L’apparence physique et la caractérisation de Bacall dans Le Port de l’angoisse sont calquées sur la propre épouse de Hawks, un séduisant mannequin surnommé « Slim » comme Marie dans le film.

Hawks filme à hauteur d’homme, et il filme aussi au présent. Seules les actions et les décisions – immédiatement suivies d’actions – de ses personnages l’intéressent, et elles sont vouées à la réussite. Le Port de l’angoisse – titre français à côté de la plaque, le danger existe chez Hawks mais l’angoisse n’a pas sa place – s’éloigne radicalement de Hemingway, pas seulement dans ses péripéties mais aussi dans sa vision de l’existence. L’écrivain se penche sur des hommes rongés par le déclin, des perdants marqués par la vie, Hawks célèbre des personnages positifs triomphant de l’adversité, avec bravoure et décontraction, imposant leur loi et refusant toute compromission. « Hawks est, dans son classicisme, le cinéaste du présent et, par extension, le cinéaste du bonheur. » (Jacques Lourcelles)

 

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Les Promesses de l’ombre de David Cronenberg

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ARTE diffuse lundi 20 avril à 22h35 Les Promesses de l’ombre (Eastern Promises, 2007) de David Cronenberg.

Succédant au génial A History of Violence (2006), Les Promesses de l’ombre est un chef-d’œuvre de plus dans la filmographie du cinéaste canadien et confirme sa souveraineté dans le paysage du cinéma mondial des années 2000 et aussi son aisance à transformer les romans célèbres ou les scénarios des autres en films éminemment personnels. Les Promesses de l’ombre, écrit par Steven Knight, le scénariste de Dirty Pretty Things de Stephen Frears, n’en demeure pas moins un prolongement surprenant des thèmes de A History of Violence. La complexité des personnages et de leurs relations, la profondeur des situations sont mises en scène avec une apparente limpidité et une virtuosité invisible, comme si les conceptions classique et moderne du cinéma parvenaient à coïncider dans un seul geste cinématographique. Si David Lynch a opté pour une approche expérimentale de son art, Cronenberg parvient à concilier des films narratifs, commerciaux et une fidélité absolue et sans compromis à sa conception, à la fois ironique, charnelle et cérébrale du cinéma comme exploration de l’être humain. Comme dans A History of Violence, Cronenberg se livre à une réflexion sur la vérité et les apparences, proposant le mensonge et la simulation comme formidables moteurs romanesques, le besoin de s’inventer une autre identité pour devenir soi-même, l’excitation d’être un autre et de s’introduire dans une communauté étrangère. Ce n’est plus le corps qui semble préoccuper Cronenberg dans ses deux films, mais la question de la mémoire et de l’identité (même si la mémoire est inscrite dans le corps même de ses héros, machine programmée pour tuer ou couvert de tatouages tribaux).

Viggo Mortensen et Naomi Watts dans Les Promesses de l'ombre de David Cronenberg

Viggo Mortensen et Naomi Watts dans Les Promesses de l’ombre de David Cronenberg

Dans A History of Violence et Les Promesses de l’ombre, titres presque jumeaux, Cronenberg explore la relation entre réalisme cinématographique et création fantastique. Le dilemme s’incarne ici dans l’histoire d’une jeune infirmière d’origine russe qui va pénétrer, à l’occasion d’une enquête sur une mineure morte en donnant naissance à son bébé, dans l’univers terrifiant de la mafia russe londonienne et découvrir un monde de monstres qui relève davantage du fantasme érotique que de la réalité, même si le film est bien sûr parfaitement crédible et documenté. Les codes du western, du mélodrame et du film noir sont ici non pas transcendés mais enrichis par les éternelles obsessions de Cronenberg sur la confusion sexuelle, le mariage du plaisir et de la souffrance, le conflit entre la chair et l’esprit, qui trouvent à nouveau en Viggo Mortensen une incarnation parfaite. Mais la dimension shakespearienne de tragédie familiale, les références bibliques et la noirceur du sujet font des Promesses de l’ombre un film plus grave, moins ludique que A History of Violence. Le film réserve, entre autres surprises, l’un des plus violent combat au corps à corps de l’histoire du cinéma, au cours duquel Viggo Mortensen, nu comme un ver, à l’exception des nombreux tatouages religieux qui couvrent sa musculature reptilienne, affronte deux tueurs tchétchènes venus l’égorger dans un bain public. Brutal, sanglant, Les Promesses de l’ombre recèle aussi une douceur et une tendresse insoupçonnées, à l’image de son magnifique dernier plan, une image de paix qui vient conclure un conte noir hanté par le meurtre, la trahison et l’asservissement de l’homme par l’homme.

Viggo Mortensen et Les Promesses de l'ombre de David Cronenberg

Les Promesses de l’ombre de David Cronenberg

 

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Prières de Pedro González-Rubio

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Dans le cadre de La Lucarne ARTE diffuse la nuit du lundi 20 au mardi 21 avril à 0h15 Prières (Inori), Léopard d’Or de la sélection « Cinéastes du présent » au Festival del film Locarno en 2012. Il serait facile de ranger ce long métrage poétique dans la catégorie méprisante des « films de festivals », vu qu’il a été découvert dans un festival, programmé dans de nombreux autres et même produit par un festival, et qu’il est désormais diffusé sur ARTE sans être passé par la distribution en salles. Cela n’empêche pas le Mexicain Pedro González-Rubio, du haut de ses 39 ans et d’une poignée de films en forme d’essais poétiques, d’être l’un des cinéastes les plus enthousiasmants de sa génération, documentaire et fiction, confondus, et de s’imposer calmement comme le digne héritier de Robert Flaherty.

Prières

Prières

Après le magnifique Alamar (2009) – un joyau tourné dans un site naturel paradisiaque au Mexique, à rattraper toutes affaires cessantes en DVD – Pedro González-Rubio revient avec un second long métrage à la démarche esthétique similaire mais très surprenant puisque entièrement tourné au Japon (et produit par Naomi Kawase par l’intermédiaire du Festival International de Nara, sa ville natale), dans un petit village de montagne, à Kannogawa où la vie s’écoule paisiblement en harmonie avec la nature. Trop paisiblement sans doute au goût des – rares – habitants de la région puisque ce qui était auparavant une ville animée est aujourd’hui un lieu fantôme victime de la désertification des campagnes. Le monde rural est désormais un mouroir où des personnes âgées sont les dernières à entretenir le lien entre les hommes et la nature, les activités quotidiennes et le cycle des saisons, entre travail et méditation, mémoire vivante d’un monde en train de disparaître avec elles.

Comme la barrière de corail d’Alamar, la campagne japonaise est un paradis perdu où vit en sursis une communauté humaine respectueuse de l’écologie. La différence tient dans une relation plus shintoïste que panthéiste, culture et tradition japonaises obligent (« Inori » veut dire « prière ») et l’âge des protagonistes, qui semblent rivaliser de longévité avec les arbres de la forêt et les pierres des torrents. La mise en scène documentaire de Pedro González-Rubio (la dimension fictionnelle est moins prégnante que dans Alamar) est invariablement belle, à l’image des sites et des visages filmés avec une tentation contemplative qui épouse le rythme de la vie à Kannogawa.

 

Dans la prochaine Lucarne du 27 avril à 0h20, vous pourrez découvrir le nouveau film inédit de Pedro González-Rubio, Icaros (2014), coproduit par ARTE France – La Lucarne, l’histoire d’un homme vivant en ermite dans la forêt du Costa Rica.

 

 

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Jeremiah Johnson de Sidney Pollack

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ARTE diffuse dimanche 26 avril à 20h45 Jeremiah Johnson (1972) de Sidney Pollack, avec Robert Redford dans le rôle-titre. Il s’agit du deuxième  – et meilleur – des sept longs métrages de Pollack avec Redford en vedette.

Jeremiah Johnson s’inspire de la vie d’un célèbre « mountain man » (« homme des montagnes ») John Johnson surnommé « le mangeur de foie ». Dans les années 1850 Jeremiah Johnson est un ancien soldat nordiste qui, dégoûté par la guerre de Sécession et la violence des villes décide de rompre avec la civilisation et de partir vivre dans les Montagnes Rocheuses. Mal préparé à la vie sauvage, ses premières années d’ermitage sont difficiles. Il doit affronter le froid, la faim, les bêtes féroces… La coexistence avec les différentes tribus indiennes n’est pas toujours pacifique… Sa rencontre avec un vieux trappeur lui permettra d’apprendre les méthodes de chasse et de survie, et les coutumes des Indiens. Mais la violence des hommes finira par le rattraper.

Robert Redford dans l'un de ses meilleurs rôles : Jeremiah Johnson de Sidney Pollack

Robert Redford dans l’un de ses meilleurs rôles : Jeremiah Johnson de Sidney Pollack

Western panthéiste aux images sublimes de paysages grandioses (le film fut tourné dans l’Utah, et donnera l’idée à Robert Redford d’y installer son festival du cinéma indépendant américain, Sundance, dans une petite station de montagne Park City en plein pays Mormon), Jeremiah Johnson n’est pourtant pas une simple ballade écologiste vantant les joies du retour à la nature. Son véritable sujet rejoint des préoccupations très contemporaines qui sont celles de l’Amérique du début des années 70. Comment échapper à la violence qui règne aux Etats-Unis – taux de criminalité record dans les grandes villes – et hors de ses frontières – la guerre du Vietnam? Les Chiens de paille de Sam Peckinpah réalisé un an plus tôt se posait la même question, et y répondait avec un nihilisme radical : un intellectuel américain et sa jeune épouse fuyaient le climat de violence en Amérique et se retrouvaient confrontés à la sauvagerie d’une tribu familiale dans un petit village irlandais…

L’ancien soldat Jeremiah Johnson va devoir pour survivre et assouvir son désir de vengeance (« death wish ») tuer des Indiens qui lui contestent sa présence sur leur terrain de chasse et la terre de leurs ancêtres. C’est la profanation du sol sacré d’un cimetière par des soldats américains guidés par Jeremiah Johnson qui va déclencher une flambée de violence. Le prix à payer pour Jeremiah Johnson sera le massacre de sa nouvelle famille et la condamnation à la solitude, âme errante atteignant le statut de légende à chaque nouvelle victoire en combat singulier. Pollack et Redford ne glorifient pas les épisodes sanglants d’un scénario coécrit par John Milius, figure phare du Nouvel Hollywood connu pour sa passion et sa connaissance encyclopédique de l’histoire des Etats-Unis mais aussi sa fascination pour la violence et la volonté de puissance de héros individualistes et conquérants. On retrouve la vision pleine de bruit et de fureur du futur réalisateur de Dillinger et Conan le Barbare dans Jeremiah Johnson, mais édulcorée par l’humanisme de Pollack qui oriente le film vers un sentiment de tristesse et de désillusion. C’est d’ailleurs en raison des modifications apportées à ses scénarios Jeremiah Johnson et Juge et Hors-la-loi de John Huston que Milius décidera de passer à la mise en scène, seul maître à bord de quelques films remarquables – plus particulièrement Graffiti Party (Big Wednesday) en 1978.

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Le jour se lève de Marcel Carné

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ARTE diffuse lundi 27 avril à 20h50 Le jour se lève (1939) de Marcel Carné.

Piégé par la police dans son appartement, François (Jean Gabin) un ouvrier qui vient de tuer un homme a toute la nuit pour ses remémorer les événements qui l’ont conduit à cette situation désespérée.

Le jour se lève est sans doute le chef-d’œuvre de Marcel Carné, et l’un des sommets du réalisme poétique – Carné préférait parler de « fantastique social ». Il est vrai que Le jour se lève baigne dans une atmosphère nocturne et onirique, amplifiée par les magnifiques décors signés Alexandre Trauner – celui de l’usine, avec ses fumées toxiques et ses ouvriers masqués en combinaisons intégrales annonce les premiers films de David Lynch, tandis que la chambre où s’est retranché François et l’immeuble théâtre du drame comptent parmi les plus belles créations du génial décorateur. Cette poétisation du monde ouvrier n’exclut pas une dimension politique. Le fatalisme existentiel du film de Carné exprime surtout la perte des illusions et des espoirs nés avec le Front Populaire, à la veille d’un nouveau conflit mondial. Comme ceux du peuple français les rêves de bonheur du jeune couple, l’idéal de pureté que représente une fleuriste orpheline aux yeux de son amoureux sont cruellement souillés par l’ignoble Valentin, personnage corrupteur et pervers magistralement interprété par Jules Berry.

Le jour se lève marque l’accomplissement du cinéma de Marcel Carné, au pessimisme ontologique, obsédé par les thèmes de la fatalité et du destin, apportant un soin perfectionniste à la mise en scène en studio. Le cinéaste réalisera d’autres films importants pendant l’Occupation et après guerre, mais aucun n’atteint la perfection du Quai des brumes et du jour se lève, écrits et dialogués par Jacques Prévert, qui bénéficient en outre de la présence de Jean Gabin en héros prolétaire et tragique.

Jean Gabin dans Le jour se lève

Jean Gabin dans Le jour se lève

Le jour se lève, classique du cinéma français, propose une utilisation très maîtrisée et inhabituelle à l’époque du flash-back, puisque le film est resté célèbre pour ses trois retours en arrière. Le jour se lève aura une influence considérable sur le cinéma américain et en particulier le film noir, qui réutilisera régulièrement le procédé du scénario qui débute par la fin, avec le récit remémoré par l’un de ses protagonistes, vivant ou mort (Boulevard du crépuscule de Billy Wilder.)

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Mogambo de John Ford

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ARTE diffuse Mogambo (1953) de John Ford dimanche 3 mai à 20h45. Ce safari amoureux est une œuvre à part dans la longue carrière de John Ford. La forme est bâtarde (un pied en Afrique, un autre en studio), mais le propos du film et la direction d’acteur ne sont en rien indignes du génial cinéaste. Bien au contraire.

Grace Kelly et Clark Gable dans Mogambo (1953)

Grace Kelly et Clark Gable dans Mogambo (1953)

Tourné entre Le soleil brille pour tout le monde et Ce n’est qu’un au revoir, Mogambo (1953) est une nouvelle version de Red Dust (1932), un film de Victor Fleming célèbre pour des allusions sexuelles corsées encore possibles avant le durcissement de la censure hollywoodienne. C’est l’histoire lors d’un safari en Afrique d’un marivaudage entre un chasseur de gibier, une séductrice et un couple d’Anglais. L’aventurier (Clark Gable) hésite entre la blonde glaciale (Grace Kelly) et la brune brûlante (Ava Gardner), même si finalement c’est la femme qui choisit. Le film ne manque pas de surprendre par la désinvolture avec laquelle Ford mêle les prises de vues tournées en Afrique et des transparences de très médiocre qualité (le même problème surviendra lors des dernières scènes avec Edward G. Robinson des Cheyennes.) Voilà de quoi choquer les admirateurs du cinéaste qui louent son refus de l’artifice et des conventions. Il n’y a pas de plaisir contemplatif dans Mogambo, contrairement aux grands films de Ford qui accordent une place essentielle aux paysages (voir La Prisonnière du désert ou L’Homme tranquille). L’Afrique de Mogambo frise la carte postale, malgré l’absence de musique exotique, et le film souffre de la comparaison avec Hatari !, le chef-d’œuvre de Howard Hawks qui bénéficiait d’un réalisme presque documentaire. Nous sommes également très loin des États-Unis et de l’Irlande, des récits sur l’armée ou les communautés de pionniers qui ont toujours passionné Ford. Reste l’aventure des sentiments et des relations humaines, et la théâtralité assumée du cinéma fordien. Si le décor laisse à désirer, les corps des acteurs ne montrent aucune défaillance. Le cinéaste analyse le choc des cultures vu à travers le comportement d’un petit groupe d’Occidentaux déracinés, et filme avec beaucoup d’amour et de sensualité Ava Gardner, dans le rôle d’une femme belle et énergique comme il les aimait.

Ava Gardner et Clark Gable dans Mogambo (1953)

Ava Gardner et Clark Gable dans Mogambo (1953)

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Pacific Express de Cecil B. DeMille

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ARTE diffuse lundi 4 mai à 20h50 Pacific Express (Union Pacific, 1939) de Cecil B. DeMille, l’un des plus grands westerns de l’histoire de cinéma. C’est aussi l’un des titres fondateurs du genre à la fin des années 30, avec La Chevauchée fantastique de John Ford et Les Conquérants de Michael Curtiz, lorsque le western n’est plus cantonné dans la série B et accède aux gros budgets des productions de prestige. C’est le cas de Pacific Express qui bénéficie de moyens importants, adaptés aux dimensions de cette fresque épique sur la construction des chemins de fer qui relièrent l’est et l’ouest, participant ainsi à l’édification et à l’unité de toute une nation. Pacific Express fait en outre partie dans l’œuvre de DeMille d’une série de films historiques, Une aventure de Buffalo Bill (The Plainsman, 1936), Les Tuniques écarlates (North West Mountain Police, 1940) et Les Conquérants d’un nouveau monde (Unconquered, 1947), admirables et de grande envergure, consacrés à l’histoire de l’Amérique et à ses figures héroïques, légendaires ou anonymes, fictives ou réelles.

Barbara Stanwick et Joel McCrea dans Pacific Express

Barbara Stanwick et Joel McCrea dans Pacific Express

Nous sommes peu avant 1870, pendant la Guerre de Sécession. L’un des derniers décrets signés par Lincoln autorisait la compagnie ferroviaire Union Pacific Railroad à s’étendre jusqu’à la Californie. L’affairiste et politicien véreux Asa Barrows, qui possède une compagnie rivale, va employer tous les moyens pour faire échouer cette entreprise. Il engage Campeau un aventurier sans scrupules pour retarder la Union Pacific en semant le trouble parmi les ouvriers, allant jusqu’au meurtre, au vol et au sabotage. Un agent du gouvernement, Jeff Butler, est chargé d’assurer l’ordre et la protection du convoi afin de permettre à la Union Pacific d’atteindre la première l’Océan Pacifique. Il découvre que l’un de ses anciens amis travaille pour Campeau. Pour ne rien arranger, ils sont amoureux de la même jeune femme, Mollie, qui travaille à l’intendance du train de la Union Pacific. DeMille est le maître des émotions fortes et de scènes spectaculaires, que l’on retrouve à foison dans Pacific Express, avec ses multiples péripéties, son action non stop incluant cascades, fusillades mais aussi effets spéciaux – un impressionnant déraillement dans un col de montagne enneigé. Avant de devenir un maître du film à grand spectacle DeMille s’était surtout illustré au temps du muet dans les drames mondains ou les comédies sophistiquées. Même dans un western ses principaux sujets demeurent la guerre des sexes, les jeux de séduction ou la rivalité amoureuse. Le triangle amoureux formé par Robert Preston, Joel McCrea et Barbara Stanwick est étincelant. Stanwick fut sans doute l’une des plus brillantes actrices hollywoodiennes, aussi géniale dans le drame que la comédie, le western que les « women’s pictures ». Dans Pacific Express DeMille lui permet d’exprimer une large palette d’émotions et de sentiments, et il est bien difficile de résister à son joli minois et à son caractère bien trempé.

Cinéaste pas si classique que ça et souvent rattrapé par un grain de folie, DeMille aimait les télescopages spatio-temporels presque autant que les ruptures de tons à l’intérieur de ses films. On pourra le constater avec le dernier plan de Pacific Express.

Pacific Express

Pacific Express

Le chef-d’œuvre de DeMille est l’une des nombreuses références cinéphiliques de Sergio Leone et ses scénaristes Argento et Bertolucci lorqu’ils écrivent Il était une fois dans l’ouest, western qui propose une approche critique et opératique du même sujet. Les quatre personnages principaux des deux films – trois hommes et une femme – partagent également plusieurs points communs. Mais ceci est une autre histoire…

 

Pacific Express figurait dans la sélection officielle – aux côtés du Magicien d’Oz, La Charrette fantôme, La Loi du nord ou Quatre Plumes blanches – de ce qui aurait dû être la première édition du Festival de Cannes, en 1939. Le Festival de Cannes avait été décidé en réaction contre l’ingérence fasciste dans la sélection des films aux Festivals de Berlin et de Venise, et avait reçu le soutien des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Le 1er septembre, jour de l’ouverture, les troupes allemandes pénètrent en Pologne, et le Festival est annulé. Le premier Festival de Cannes se déroulera en 1946.

Le 19 mai 2002 Le Jury « 1939 », présidé par Jean d’Ormesson a remis sa Palme d’or au film de Cecil B. DeMille. Une décision prise à l’unanimité par les six membres du Jury. Pacific Express est donc devenu avec 63 ans de retard la première Palme d’or de l’histoire du festival de Cannes.

 

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Big Racket de Enzo G. Castellari

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L’éditeur de DVD Artus inaugure le 5 mai une nouvelle collection « polar » avec un titre qui compte parmi les plus représentatifs – et les plus violents – de la vague de films policiers qui éclaboussa les écrans italiens dans les années 70 : Big Racket (Il grande racket, 1973) de Enzo G. Castellari.

Entre la fin des années 60 et celle des années 80, il existe dans le cinéma populaire italien une tradition de l’ersatz.

Avec l’apparition d’une nouvelle génération de succès internationaux (les films de Friedkin, Spielberg, Lucas, Carpenter, Romero…) les producteurs italiens se sont très tôt spécialisés dans la confection de plagiats, tributaires des modes cinématographiques exportés des États-Unis. Ainsi, on a pu apprécier des ripostes transalpines à des films d’horreur américains comme Rosemary’s Baby (L’Alliance Invisible), L’Exorciste (L’Antéchrist), La Malédiction (Holocauste 2000), Zombie (L’Enfer des zombies)…

La plupart de ces films (même si on a cité quelques-uns des meilleurs) sont ridicules lorsqu’ils touchent à des genres trop exogènes à la culture italienne – la science-fiction par exemple, qui demande en outre des moyens techniques et financiers que ces productions à petit budget ne possédaient pas. Les fameux polars romains ou milanais calqués sur Le Parrain, L’Inspecteur Harry ou Un justicier dans la ville sont en revanche particulièrement convaincants car ils font écho aux troubles que rencontrent la société italienne depuis le boom économique : flambée de la criminalité, mafia, délinquance et terrorisme politique qui plongent le pays dans un climat d’insécurité et de tensions propice à une récupération opportuniste par les producteurs de films de série B.

Dans l’Italie des années 70 où l’idéologie occupe une place importante ces films qui flirtent parfois avec des positions droitistes donnent le sentiment de flatter les bas instincts du public populaire, à l’instar d’une certaine presse à sensations. Un tel phénomène sera d’ailleurs étudié et dénoncé avec une virulence terrible par le cinéaste Luigi Zampa dans son avant-dernier film Il mostro en 1977.

Tout ceci nous amène à nous pencher sur le cas de notre film du jour, ce Big Racket apprécié des fans de cinéma bis transalpin, et qui témoigne d’une efficacité redoutable dans son domaine.

Enzo G. Castellari, de son vrai nom Enzo Girolami, fils de Marino Girolami (La Terreur des zombies) et frère de Romolo Guerreri (La Police au service du citoyen) est le spécialiste incontesté de l’action à l’italienne. Ancien boxeur, il a réalisé d’honorables polars urbains interprétés par Franco Nero (son acteur fétiche) ou le charismatique Fabio Testi (la star de Big Racket, photo en tête de texte), un bon film de guerre (Une poignée de salopards), et un western crépusculaire (Keoma), avant de se reconvertir dans l’ersatz post apocalyptique (Les Guerriers du Bronx, Les Nouveaux Barbares).

Au début des années 70 Castellari trouve son style, ou plutôt le vole puisqu’il est constitué d’emprunts divers au cinéma américain et plus particulièrement à Sam Peckinpah dont il récupère les ralentis et l’esthétique du montage syncopé, plus une utilisation emphatique de la musique – Castellari a souvent travaillé avec les frères Guido et Maurizio De Angelis, auteurs de scores mémorables du cinéma d’exploitation italien.

Bick Racket

Fabio Testi dans Big Racket

C’est durant cette période faste que Castellari réalise l’un de ses meilleurs films, Big Racket dans lequel un inspecteur de police tente d’enrayer les agissements de racketteurs qui terrorisent les commerçants du centre ville de Rome. Cette bande de punks dégénérés obéit en fait à des ordres du crime organisé et le film entérine l’opinion selon laquelle le pays tout entier et ses plus hautes institutions sont gangrénées par la corruption et la mafia, plongeant le citoyen dans un état d’impuissance.

C’est ce qui arrive à ces pauvres commerçants dont les familles sont torturées, violées et tuées lorsqu’ils refusent de céder au chantage des racketteurs. Le flic de choc interprété par Fabio Testi est aussi agressé par ces voyous fous furieux qui essaient de le tuer en précipitant sa voiture dans un ravin.

Excédé par la lenteur et la mollesse de la justice, ayant échappé de peu à la mort le personnage de Fabio Testi ivre de vengeance se transforme en « vigilante » et forme une brigade armée avec les victimes des voyous déterminées à passer de l’autre côté de la loi et à faire le ménage devant leurs portes. Tout finira dans un bain de sang dans une usine désaffectée.

 

Si Carlo Lizzani et Sergio Sollima qui s’illustrèrent eux aussi dans le polar étaient des cinéastes de gauche, Enzo G. Castellari échappe sans conteste à ce type d’étiquette. Castellari s’amuse à mettre en boîte un film ultra-violent dont le discours est volontiers sécuritaire, anarchisant, voire réactionnaire. Avec sa glorification de la justice personnelle et expéditive et son ball trap final où méchants et pourris sont systématiquement canardés Big Racket est loin de posséder l’ambiguïté de L’Inspecteur Harry de Don Siegel, et même du premier Death Wish de Michael Winner.

Mais il y a la « Castellari’s touch », faite de ralentis, de cascades, de bagarres et de fusillades, jusqu’au brouillage de neurones.

 

 

 

 

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Le Tombeau des lucioles de Isao Takahata

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Mercredi 6 mai à 20h50 ARTE diffuse un chef-d’œuvre de l’animation japonaise. Et du cinéma tout court. Le Tombeau des lucioles (Hotaru no haka, 1988) de Isao Takahata, une des premières productions du studio Ghibli.

« La nuit du 21 septembre 1945, je suis mort. »

C’est par ces paroles en voix-off que débute le film. Le Tombeau des lucioles sera ainsi une histoire de l’au-delà, un récit à la première personne racontée par un corps sans vie, à l’instar du Boulevard du crépuscule de Billy Wilder. Le constat est plus terrible puisque ce mort qui parle est un jeune garçon, pas encore sorti de l’enfance, dont les derniers mois furent un calvaire. Takahata confronte le spectateur à une réalité inadmissible, un scandale ontologique qui va se reproduire au cours du film : la mort d’un enfant provoquée par la folie de la guerre mais aussi la cruauté et l’indifférence des adultes civils, la lente agonie d’un être de pure bonté et d’innocence.

Japon, été 1945. Victimes des bombardements américains un garçon et sa petite sœur, orphelins de guerre, se réfugient à la campagne. Leur village a été détruit par des bombes incendiaires, leur mère est décédée des suites de ses brûlures. Seita, un adolescent de quatorze ans, cache la terrible vérité à sa petite sœur Setsuko âgée de quatre ans, avec laquelle il va tenter de survivre dans une perpétuelle quête de nourriture.

Le Tombeau des lucioles (1988)

Le Tombeau des lucioles (1988)

Le Tombeau des lucioles est sans doute le film d’animation le plus bouleversant du monde qui rivalise avec les plus grands témoignages sur la guerre et l’enfance, à ranger aux côtés des œuvres de Rossellini (Allemagne, année zéro) et de Ozu, et aussi de Jeux interdits de René Clément. Takahata s’est inspiré de la gestuelle et des mimiques du personnage de la petite fille – génialement – interprétée par Brigitte Fossey pour créer Setsuko. Le film est adapté de La Tombe des lucioles, nouvelle semi-autobiographique écrite en 1967 par Akiyuki Nosaka – écrivain salué par Mishima – qui a vécu enfant la plupart des drames que dépeint le film.

A l’inverse de la plupart des films d’animation Le Tombeau des lucioles cherche à atteindre le plus de réalisme possible, avec une description minutieuse des détails de la vie quotidienne, de la nature ou d’événements plus dramatiques comme les destructions provoquées par les bombes, ou les effets de la malnutrition sur le corps des enfants. Le cinéaste opte pour une vision subjective – celle de Seita – et ne nous épargne pas la découverte d’asticots sur le cadavre brûlé et couvert de bandelettes de sa mère.

C’est par ce surcroît de réalisme que le film atteint une forme de poésie paradoxale, en montrant aussi l’écart entre un paisible paysage de campagne, la lumière de l’été, la mort et la faim qui rôdent.

Bien que classifié tous publics, Le Tombeau des lucioles est fortement déconseillé aux jeunes enfants et aux personnes trop émotives. Les autres peuvent quand même préparer leurs mouchoirs. Sa tristesse dépasse les plus puissants mélodrames. L’émotion qui nous étreint rejoint plutôt celle ressentie devant des documentaires aux sujets douloureux, montrant la souffrance des enfants et leur condamnation par la folie des hommes.

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Caprice : rencontre avec Emmanuel Mouret

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Emmanuel Mouret et Anaïs Demoustier dans Caprices

Caprice, la nouvelle comédie romantique écrite et réalisée par Emmanuel Mouret, est interprétée par Anaïs Demoustier, Virginie Efira, Laurent Stocker et Mouret dans le rôle masculin principal.

Emmanuel Mouret et Virginie Efira dans Caprice

Emmanuel Mouret et Virginie Efira dans Caprice

Clément (Emmanuel Mouret toujours dans le registre de l’amoureux lunaire et maladroit), instituteur, est comblé jusqu’à l’étourdissement : Alicia (Virginie Efira), une actrice célèbre qu’il admire au plus haut point, devient sa compagne. Tout se complique quand il rencontre Caprice (Anaïs Demoustier), une jeune femme excessive et débordante qui s’éprend de lui. Entretemps son meilleur ami, Thomas (Laurent Stocker), se rapproche d’Alicia…

Laurent Stocker et Virginie Efira dans Caprice

Laurent Stocker et Virginie Efira dans Caprice

A l’occasion de la sortie de Caprice nous avons souhaité nous entretenir avec son auteur Emmanuel Mouret :

Anaïs Demoustier et Emmanuel Mouret dans Caprice

Anaïs Demoustier et Emmanuel Mouret dans Caprice

Caprice sort le 22 avril 2015, distribué par Pyramide. C’est une coproduction ARTE France Cinéma.

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Caprice : rencontre avec Anaïs Demoustier et Virginie Efira

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Ce sont les deux actrices les plus désirées du cinéma français, et on ne peut que s’en réjouir. Très présentes dans des comédies et chez les jeunes auteurs, on les retrouve aussi parfois chez des grands cinéastes (l’une a fait ses premiers pas au cinéma devant la caméra de Michael Haneke, et a récemment brillé dans Bird People de Pascale Ferran, l’autre vient de tourner dans Elle de Paul Verhoeven). A l’occasion de la sortie de Caprice nous avons eu le plaisir de converser avec Anaïs Demoustier et Virginie Efira, nouvelles héroïnes de Emmanuel Mouret qui leur a offert deux très beaux rôles à la hauteur de leur talent. François Truffaut disait que le cinéma était l’art de faire faire des jolies choses à des jolies femmes. Emmanuel Mouret applique à la lettre cette définition depuis ses débuts, et y est particulièrement fidèle avec Caprice, pour notre plus grand plaisir.

Caprice sort le 22 avril 2015, distribué par Pyramide. C’est une coproduction ARTE France Cinéma.

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La Dame de Shanghai de Orson Welles

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Dans le cadre de son hommage à Orson Welles dont on fête le centième anniversaire de la naissance – il est né le 6 mai 1915 à Kenosha, Wisconsin – ARTE diffuse dimanche 10 mai à 20h45 La Dame de Shanghai (The Lady from Shanghai, 1948).

ARTE diffusera aussi La Soif du mal (Touch of Evil, 1957) lundi 11 mai à 20h50 et le documentaire inédit de Catherine O’Connell La Guerre des mondes selon Orson Welles le mardi 12 mai à 23h50.

Everett Sloane et Orson Welles dans La Dame de Shanghai

Everett Sloane et Orson Welles dans La Dame de Shanghai

Orson Welles a édifié sa propre légende – orale – par l’intermédiaire de fables et de récits souvent fantaisistes au sujet de la genèse de ses films. L’idée de La Dame de Shanghai provient en réalité du réalisateur William Castle – qui deviendra par la suite célèbre pour ses films d’horreur de série B – qui avait écrit un traitement à partir d’un roman de Sherwood King. Mais Harry Cohn le directeur de la Columbia préféra confier le projet au « Wonder boy » Orson Welles – qui entre temps se l’était approprié – et Castle n’obtiendra que le poste de producteur associé.

L’intrigue de La Dame de Shanghai, alambiquée à souhait, n’est pas plus incompréhensible que la plupart de celle des grands classiques du film noir des années 40. On y reconnaît le style baroque de Welles, la mise en scène est superbe même si le cinéaste tempère sa fougue expérimentale qu’il ne libère réellement que dans la fameuse scène finale du palais des glaces, onirique et très influencée par le caligarisme.

Si Rita Hayworth y interprète un archétype de la femme fatale, le cinéaste remplit son personnage d’annotations autobiographiques, sur la trahison, la dépendance et la déception amoureuse : le couple est un instance de divorce, la star hollywoodienne épousée en 1943 n’était pas le premier choix du cinéaste mais sa présence dans La Dame de Shanghai devient un puissante attraction publicitaire – qui n’empêchera pas le film d’être un échec commercial, à l’instar de nombreux autres chefs-d’œuvre de Welles. L’idée de sacrifier la longue chevelure rousse de « la plus belle femme du monde » pour une coupe courte blonde oxygénée passa pour un sacrilège, voire un règlement de compte. Il n’empêche que Rita Hayworth est somptueuse – et vénéneuse – dans La Dame de Shanghai et que son futur ex époux lui a offert, davantage qu’un cadeau de rupture – l’ambiance sur le plateau fut paraît-il exécrable – le plus beau rôle de sa carrière (avec bien sûr Gilda de Charles Vidor).

Rita Hayworth dans La Dame de Shanghai

Rita Hayworth dans La Dame de Shanghai

Le film baigne dans un climat de fin du monde et témoigne de préoccupations qui vont au-delà de son intrigue, et que Welles signifie au détour de certain dialogues : les protagonistes pensent que l’apocalypse est proche, que des millions de bombes vont détruire les villes…

Welles y incarne un aventurier américain qui a tué un espion franquiste lors de la Guerre d’Espagne et se retrouve face à des compatriotes fascistes qui ont combattu dans le camp adverse. Les fantômes de la Seconde Guerre mondiale et l’angoisse d’un conflit atomique rôdent dans le film où, comme souvent chez Welles, les convictions politiques du cinéaste ne sont pas difficiles à décrypter. Le thème de la corruption, très présent dans son œuvre, se retrouve dans La Dame de Shanghai et fera sa réapparition, de manière encore plus centrale, dans La Soif du mal, onze ans plus tard.

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La Soif du mal de Orson Welles

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Dans le cadre de son hommage à Orson Welles ARTE diffuse lundi 11 mai à 20h50 La Soif du mal (Touch of Evil, 1958).

La Soif du mal est considéré par beaucoup comme le chant du cygne du film noir classique, même si cet adjectif ne convient absolument pas à l’art de Welles, et à ce film en particulier, sans doute l’un des plus géniaux et caractéristiques de son auteur, qui donne libre cours à sa démesure baroque.

Il s’agit du premier film réalisé par Welles à Hollywood après une absence de plus de dix ans – le tournage de La Dame de Shanghai remonte à 1947. Entre ces deux chefs-d’œuvre du film noir, ses adaptations shakespeariennes étaient des productions indépendantes et Mr. Arkadin avait été tourné en Espagne. Pour financer ses projets personnels Welles avait beaucoup cachetonné en tant qu’acteur aux Etats-Unis et en Europe.

Deux hypothèses demeurent au sujet du choix de Orson Welles pour mettre en scène La Soif du mal. Soit Charlton Heston aurait insisté pour que son partenaire à l’écran soit également le réalisateur du film, soit le producteur Albert Zugsmith aurait confié le poste à Welles après leur précédente collaboration sur Le Salaire du diable de Jack Arnold, dans lequel Welles jouait le vilain du film. Il n’empêche que les deux hommes, admirateur du génie du cinéaste, ne parviendront pas à atténuer la méfiance de la Universal, effrayée par la réputation capricieuse et dispendieuse de Welles, qui n’avait rien tourné à Hollywood depuis près de dix ans. Même si Welles met en scène le film sans difficulté et en un temps record, pour un budget modique de 895.000 dollars, le studio insatisfait de son montage exigera une version plus courte et des séquences additionnelles, au grand mécontentement de Welles. Sa version ne sera restaurée et montrée qu’en 1998 – c’est elle qui est diffusée sur ARTE. Est-ce le semi échec du film, malgré son immense beauté, qui conduira Zugsmith à abandonner toute velléité artistique à partir de 1958 ? Furieux d’être interdit de salle de montage Welles écrivit un long mémo pour exprimer sa surprise et sa déception, qui ne sera suivi d’aucun effet. Welles n’a jamais pardonné aux pontes de la Universal d’avoir dénaturé La Soif du mal et s’est définitivement exilé loin de Hollywood. La Soif du mal restera son dernier film américain.

Revoir La Soif du mal permet de vérifier la modernité de la mise en scène de Welles. Virtuose et procédant à un usage proche de la performance de la profondeur de champ, de la plongée et de la contre-plongée et surtout du plan-séquence, Welles ouvre la voie au cinéma américain des décennies suivantes. On constate à quel point l’œuvre de Welles et ce film en particulier, où il semble pousser à leur paroxysme ses trouvailles visuelles, a eu une influence considérable sur le jeune Kubrick, puis Frankenheimer, Coppola, DePalma… jusqu’aux premiers films de Lars von Trier ou David Fincher.

Il serait faux de considérer Welles comme un simple expérimentateur jouant avec la grammaire et la technique cinématographiques. Ses inventions formelles et son style baroque s’accordent avec un projet politique, une histoire de corruption et de racisme située dans un univers en état de décomposition. Welles ose aborder les sujets tabous de la corruption policière et de la drogue de manière explicite. Sa mise en scène exprime les tourments de ses personnages, la violence et la déréliction morale qui règnent dans cette ville frontière déglinguée entre les Etats-Unis du Mexique.

Charlton Heston et Orson Welles dans La Soif du mal

Charlton Heston et Orson Welles dans La Soif du mal

La Soif du mal montre l’affrontement sans merci entre un haut fonctionnaire de la police mexicaine ambitieux et droit, Vargas (Charlton Heston, remarquable) et Quinlan, flic légendaire aux méthodes anticonformistes, atour de l’enquête sur l’assassinat d’un notable victime d’un attentat à la dynamite au début du film.

Le redoutable Quinlan est interprété par Welles, rendu méconnaissable par un maquillage et un rembourrage qui en font un vieillard obèse et effrayant, alors qu’il n’a que 42 ans au moment du tournage. La Soif du mal dresse le portrait d’un flic fasciste et raciste, incarnation du mal et du pouvoir corrupteur. Avec le personnage de Quinlan, Welles condamne allégoriquement les abus américains à l’intérieur et en dehors des frontières du pays.

Mais Quinlan possède aussi une dimension pathétique qui ressort lors de ses discussions avec sa vieille amie Tana (Marlene Dietrich grimée en gitane), diseuse de bonne aventure chez laquelle il vient de réfugier, comme dégouté de lui-même. C’est Tana qui aura le mot de la fin avec une oraison funèbre tranchante et inattendue : « he was some kind of a man… »

La Soif du mal est l’histoire de la déchéance d’un homme, à l’instar de nombreux autres films de Welles. Celle de Quinlan, autant morale que physique, revoit à celle de Welles, ange déchu qui s’est brûlé les ailes à Hollywood et a dilapidé sa force et son génie à la poursuite de projets fantomatiques, d’aventures autour du monde, ne récoltant que regrets, échecs et amertume.

Orson Welles dans La Soif du mal

Orson Welles dans La Soif du mal

 

 

 

 

 

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