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Bertrand Tavernier parle de Classe tous risques

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Du 9 au 29 mars 2015, ARTE met le polar à l’honneur à travers un cycle de 12 films emblématiques, une série inédite, un numéro spécial du magazine « Court-Circuit » et un « Personne Ne Bouge ! » spécial gangsters. Le réalisateur Bertrand Tavernier, cinéphile spécialiste et amoureux du cinéma policier, a accepté d’en être le parrain en présentant à l’antenne et sur l’offre numérique ARTE Cinéma six classiques de ce « printemps du polar », parmi lesquels Classe tous risques (1960) de Claude Sautet avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo diffusé le dimanche 22 mars à 20h45.

 

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Bertrand Tavernier parle de Pour toi, j’ai tué

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Du 9 au 29 mars 2015, ARTE met le polar à l’honneur à travers un cycle de 12 films emblématiques, une série inédite, un numéro spécial du magazine « Court-Circuit » et un « Personne Ne Bouge ! » spécial gangsters. Le réalisateur Bertrand Tavernier, cinéphile spécialiste et amoureux du cinéma policier, a accepté d’en être le parrain en présentant à l’antenne et sur l’offre numérique ARTE Cinéma six classiques de ce « printemps du polar », parmi lesquels Pour toi, j’ai tué (Criss Cross, 1949) de Robert Siodmak avec Burt Lancaster et Yvonne De Carlo diffusé le lundi 23 mars à 22h45.

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Bertrand Tavernier parle de L.627

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Du 9 au 29 mars 2015, ARTE met le polar à l’honneur à travers un cycle de 12 films emblématiques, une série inédite, un numéro spécial du magazine « Court-Circuit » et un « Personne Ne Bouge ! » spécial gangsters. Le réalisateur Bertrand Tavernier, cinéphile spécialiste et amoureux du cinéma policier, a accepté d’en être le parrain en présentant à l’antenne et sur l’offre numérique ARTE Cinéma six classiques de ce « printemps du polar », parmi lesquels son propre film L.627 (1992) diffusé le mercredi 25 mars à 20h50.

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Bertrand Tavernier parle du film policier

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Parrain du « printemps du polar » sur ARTE du 9 au 29 mars Bertrand Tavernier (photo en tête de texte) a accepté de présenter à l’antenne six films du cycle et d’en discuter plus longuement avec nous pour l’offre numérique ARTE Cinéma. Il revient ici sur le genre policier au cinéma et en littérature, sa richesse et sa diversité dans le monde entier. Grand cinéphile et grand lecteur, auteur d’une trentaine de films, Bertrand Tavernier a régulièrement signé des longs métrages appartenant au genre qui nous intéresse, tous très différents les uns des autres et souvent tiré d’un matériau littéraire.

Son premier long métrage L’Horloger de Saint Paul (1974) – édité actuellement par studiocanal en Blu-ray et DVD dans une nouvelle version remastérisée – est une adaptation libre de L’Horloger d’Everton, roman « américain » de Georges Simenon (paru en 1954) transposé par Tavernier et ses scénaristes Jean Aurenche et Pierre Bost dans le Lyon des années 70.

Toujours avec Jean Aurenche Tavernier adapte en 1981 Pop. 1280 paru en 1964 (traduit en France deux ans plus tard par Marcel Duhamel dans la « Série noire » chez Gallimard et rebaptisé 1275 âmes) du génial écrivain américain Jim Thompson sous le titre Coup de torchon, dont l’action passe d’un petit comté du Texas dans les années 1910 à un village d’une colonie française en Afrique à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Avec Philippe Noiret l’acteur fétiche de Tavernier dans le rôle principal et Isabelle Huppert.

Isabelle Huppert dans Coup de torchon

Isabelle Huppert dans Coup de torchon

En 1992 Bertrand Tavernier réalise L.627 diffusé dans le cadre du cycle le mercredi 25 mars à 20h50.

En 1995 il adapte sous le même titre avec Colo Tavernier le roman de Morgan Sportès L’Appât tiré d’un fait-divers criminel survenu à Paris dans les années 80, et remporte l’Ours d’or à la Berlinale.

En 2009 Bertrand Tavernier réalise aux Etats-Unis Dans la brume électrique (In the Electric Mist), inspiré de In the Electric Mist with Confederate Dead (Dans la brume électrique avec les morts confédérés) écrit en 1993 par James Lee Burke, connu pour sa série de romans policiers se déroulant en Louisiane et mettant en scène le sheriff adjoint Dave Robicheaux.

Dans le film de Tavernier Robicheaux est interprété par Tommy Lee Jones. Le livre a été traduit dans l’excellente collection Rivages/Noir no 314.

L'Horloger de Saint Paul de Bertrand Tavernier disponible en Blu-ray et DVD chez Studiocanal

L’Horloger de Saint Paul de Bertrand Tavernier disponible en Blu-ray et DVD chez Studiocanal

 

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ARTE coproduit les prochains documentaires de Dror Moreh et Gianfranco Rosi

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Gianfranco Rosi

ARTE France Cinéma et ARTE France (l’Unité de Programmes Société et Culture dirigée par Martine Saada) participent à la production de trois longs métrages documentaires de cinéma par an en moyenne. La semaine dernière nous avons décidé d’accompagner deux projets documentaires d’ordre géopolitique en forte résonnance avec les crises du monde actuel, d’une ambition et d’une pertinence exceptionnelles.

Les Coulisses du pouvoir (Les Films du Poisson / Dror Moreh Productions), coproduction franco-israélienne, est le nouveau projet de Dror Moreh, réalisateur en 2012 de The Gatekeepers, documentaire événement sur les confessions de six anciens chefs du Shin Bet, le Service de la sécurité intérieure d’Israël, qui éclairait trente ans de lutte antiterroriste et d’errements face à la question palestinienne, diffusé sur ARTE l’année dernière et qui avait rencontré un succès mondial, avec une nomination à l’Oscar du meilleur documentaire.

Dror Moreh

Dror Moreh

Cette fois-ci Dror Moreh va à la rencontre d’hommes et de femmes qui aux plus hauts sommets des états, à Paris, Washington, Londres, Berlin, Moscou, Pékin ont tenu les rênes du pouvoir, et dont les décisions ont influé sur la position de leurs pays lors des différentes crises internationales et au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, façonnant ainsi le cours de l’Histoire.

« Avec eux, avec l’éclairage de leur expérience et de leur analyse, je tenterai de comprendre la manière dont se sont prises les décisions face à des crimes contre l’humanité commis dans divers pays, là où la communauté internationale n’aurait je pense pas dû rester impuissante. » (Dror Moreh)

Gianfranco Rosi (photo en tête de texte) est aujourd’hui l’un des plus importants cinéastes documentaristes en activité, et un auteur majeur du cinéma italien actuel grâce à trois longs métrages remarquables : Below Sea Level tourné en Californie en 2008, El Sicario – Chambre 164, film interview sur un tueur à gages des cartels mexicains, et Sacro GRA, portraits des habitants du périphérique autoroutier de Rome, Lion d’or à la Mostra de Venise en 2013. Par-delà Lampedusa (Les Films d’Ici / 21 Uno Film / Stemal Entertainement) est une coproduction franco-italienne dans laquelle Gianfranco Rosi cherche à comprendre la situation sur et autour de l’île de Lampedusa, le point le plus au sud de l’Italie (et de l’Europe) devenue depuis les années 90 le lieu d’arrivée massive d’immigrés irréguliers en provenance d’Afrique, avec des conséquences tragiques. En vingt ans on estime que plus de 20 000 personnes sont mortes noyées lors de la traversée.

« Lampedusa est la frontière d’une Europe qui refuse aujourd’hui ceux qui fuient la guerre et la faim en acceptant le risque de se noyer en mer, profond tombeau. » (Gianfranco Rosi)

Par-delà Lampedusa dont le tournage a commencé est attendu pour l’année 2016.

 

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Godzilla de Inoshiro Honda

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Metropolitan a sorti le 10 mars dans la collection HK un combo Blu-ray et DVD de Godzilla (Gojira, 1954), le classique original signé Inoshiro Honda.

Souvent imité, jamais égalé, Inoshiro – ou Ishiro – Honda était un poète, un artisan, et le plus grand réalisateur de films de science-fiction au Japon.

Parallèlement à sa carrière de cinéaste, Honda fut l’un des principaux collaborateurs et amis de Akira Kurosawa, pour lequel il travailla comme directeur artistique (Chien enragé) et même directeur de seconde équipe (Kagemusha, Ran, Rêves et Rhapsodie en août.) Un livret accompagne cette édition de Godzilla, avec des textes – notamment un bel essai de Nicolas Saada sur l’œuvre de Inoshiro Honda – extraits d’un numéro spécial de la défunte revue HK, ainsi que la suite directe du film, Le Retour de Godzilla (Gojira no gyakushû, 1955) signée Motoyoshi Oda.

Chef-d’œuvre matriciel du « kaiju eiga » (« film de grand monstre ») Godzilla surprend encore aujourd’hui par sa beauté formelle et son angoissant réalisme. Il est évident que les auteurs de Godzilla ont en mémoire un autre chef-d’œuvre de l’histoire du cinéma, King Kong (1933) de Cooper et Schoedsack, lorsqu’ils entreprennent le projet d’un film sur un gigantesque lézard préhistorique surgi de l’océan et semant la panique sur son passage. Mais le film s’affranchit de son modèle américain pour devenir une œuvre profondément japonaise, par ses mythologies ancestrales – la colère des dieux de la nature provoquée par l’imprudence des hommes – et modernes.

Réalisé en pleine Guerre froide, Godzilla est avant tout un film sur la peur atomique. Le monstre endormi dans une grotte sous-marine a été sorti de sa torpeur par des essais nucléaires américains réalisés au large des côtes nippones. Il symbolise la force de la nature dérangée par l’inconscience des hommes. Il symbolise aussi l’orgueil national courroucé par l’occupation américaine qui poursuit son travail de détérioration de la terre sacrée du Japon. Plusieurs films de Honda, ouvertement propagandistes avant et après la Guerre du Pacifique, puis pessimistes ou réactionnaires à partir des années 50 témoignent d’un attachement aux traditions nippones et d’un fort sentiment anti-américain, d’un respect de la nature souillée par les avancées technologiques, la course à l’armement et le mode de vie occidental. Godzilla est évidemment l’un de ces titres, porteur d’un message écologique et surtout pacifiste, Honda y déplorant le bouleversement du fragile équilibre de la planète par les scientifiques et les militaires. Godzilla détruit d’abord des bateaux avant de rejoindre la terre ferme. La destruction de plusieurs quartiers de Tokyo à grands jets de flammes radioactives et de coups de queue par ce dragon des temps modernes ravive le souvenir des bombardements de Hiroshima et Nagasaki, comme si le peuple japonais, à peine remis du traumatisme atomique, devait une nouvelle fois subir les ravages de la bombe, dans un cauchemar éveillé sur l’écran.

En plein Tokyo en proie aux attaques du monstre, une jeune fille explique lors d’une discussion dans un wagon du métro qu’elle a survécu à la catastrophe de Nagasaki. Cette évocation directe de l’holocauste atomique dont fut déjà victime le peuple japonais moins de dix ans avant la sortie de Godzilla explicite la dimension profondément humaine de ce film dont un gigantesque lézard est la principale attraction, mais qui n’oublie jamais de placer l’homme, ses souffrances et ses craintes, au premier plan.

Une humanité en proie à l'angoisse

Une humanité en proie à la peur

Le personnage du paléontologue est interprété par Taskahi Shimura, grande vedette du cinéma japonais et acteur fétiche de Akira Kurosawa avec Toshiro Mifune. C’est un jeune savant tourmenté, amoureux déçu et inventeur de la seule arme capable de tuer Godzilla, qui mettra – provisoirement – un terme aux méfaits du monstre en se sacrifiant afin d’être sûr que sa redoutable invention ne sera jamais réutilisée par l’armée à des fins belliqueuses.

Il ne viendrait à l’esprit de personne de placer Godzilla dans la catégorie des films à thèse ou des pensums humanistes. La gravité de son propos ne se dépare jamais de qualités cinématographiques principalement liées à sa fabrication. Le film exalte un goût des maquettes et des effets spéciaux qui parviennent à combiner une forme de perfectionnisme artisanal et une véritable poésie du factice. Contrairement au King Kong de 1933 Honda et ses collaborateurs optent pour un comédien dans une combinaison en caoutchouc et évoluant dans des décors de modèles réduits pour incarner Godzilla. Ces techniques, associées à des prises de vues documentaires ou d’actualités et des scènes de paniques avec des foules de figurants confèrent au cinéma de Honda ce mélange hétéroclite d’hyperréalisme et de stylisation presque enfantine. Il faut à ce sujet saluer le travail d’un autre génie associé à l’œuvre de Inoshiro Honda, le directeur des effets spéciaux Eiji Tsuburaya.Godzilla, film sombre et adulte, sera suivi – triomphe public oblige – par toute une série de longs métrages mettant en scène le dieu lézard. La première suite Le Retour de Godzilla respecte plus ou moins l’esthétisme du film original (noir et blanc, format 1.37, style semi documentaire) mais introduit déjà des éléments plus farfelus comme l’apparition d’un second monstre préhistorique géant, un ankylosaure surnommé Anguillas, propice à de longues bastons au milieu de maquettes de maison réduites en charpie.

Cette propension neuneu aux interminables bagarres entre cascadeurs dans des costumes en mousse ne fera que s’accentuer dans les films suivants, tournés en couleur et en écran large par Honda ou d’autres réalisateurs, davantage orientés vers la parodie pop et destinés à un public enfantin. On ne compte plus les résurrections de Godzilla qui avant de subir les outrages de deux remakes américains aura un fils, se battra contre King Kong, une flopée de bestioles géantes, des robots et des extraterrestres, dans des bandes de plus en plus décontractées et humoristiques, mais sans jamais perdre sa popularité auprès d’un public de fans conquis par avance. HK envisage d’ailleurs de ressortir bientôt d’autres « kaiju eiga » des années 60 avec Godzilla et ses amis, ce qui constitue une réjouissante nouvelle.

Grandeur et décadence d'un mythe : La revanche de Godzilla

Grandeur et décadence d’un mythe : La revanche de Godzilla

 

En guise de compléments de choix au sujet de Godzilla, voici quelques extraits d’un essai inédit de Maud Ameline, Figures de monstres.

L’apparition du monstre dans Godzilla

Le monstre de Godzilla (un acteur dans un costume) est à moitié caché par la montagne. Plans de coupe sur les visages terrifiés des habitants de l’île, puis une succession de plans de leur fuite. Ce qui est surtout montré, c’est la terreur que le monstre inspire. En lui-même le monstre est presque décevant. On a du mal à identifier à quelle bête il ressemble : dinosaure, gros lézard ? Ce qui compte, ce n’est pas l’identité du monstre, c’est l’Idée du monstre, c’est-à-dire d’avoir reconnu un type : le gigantisme, la hideur physique, qui suffisent à provoquer la peur chez les personnages et chez le spectateur.

Godzilla et la peur atomique

Dans les années 50, les monstres surgissent du fonds des océans à la suite d’expériences atomiques. Les monstres sont des créatures géantes nées de l’angoisse suscitée par l’ère du nucléaire. Le plus célèbre est Godzilla, une créature préhistorique réveillée par des explosions atomiques, et qui se met en tête de raser Tokyo. (…)

L’explication scientifique de l’origine du monstre est abracadabrante. Pourtant, un malaise se dégage de la scène : les éclats de voix violents des gens dans la salle font planer un climat de mésentente et d’inquiétude qui semble indiquer que la violence des hommes est première.

Dans la scène de la destruction de Tokyo, le souffle brûlant du monstre renvoie aux bombes incendiaires lancées sur Tokyo par l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Les images de Tokyo en flammes devaient rappeler aux Japonais les images de leurs souffrances pendant la guerre.

Un genre subversif ?

Si le monstre vient introduire le Désordre, il vient en fait révéler que le monde marchait sur la tête : le capitalisme sauvage et la crise économique qui s’en est suivie dans King Kong, l’arme nucléaire dans Godzilla, l’impérialisme américain et la malhonnêteté du gouvernement coréen dans The Host, etc. Le film de monstre est donc un genre possiblement subversif. On y repère souvent des germes de subversion morale ou sociale, parfois des deux à la fois. Le film de monstre a toujours été un lieu privilégié dans le cinéma, un domaine où il a été possible de tout dire. Justement parce qu’on considérait le cinéma fantastique comme un genre mineur. Pour autant, l’ordre n’est mis en question sur les écrans que pour mieux être restauré.

(Maud Ameline, Figures de monstres, extraits)

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Les Mâchoires de l’épouvante et Secret Pulsion de William Grefé

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L’éditeur indépendant Crocofilms poursuit son exploration du cinéma bis avec un double DVD à petit prix abritant deux films de William Grefé (ou Grefe), figure du cinéma d’exploitation américain. Grefé appartient à cette catégorie de cinéastes producteurs qui ont fait toute leur carrière loin des deux grands pôles cinématographiques en Amérique, New York et surtout Los Angeles, développant un système de production et de distribution en totale indépendance, généralement dans des zones rurales et ensoleillée au sud du pays. Comme il y eut en France et dans d’autres pays un cinéma régional prioritairement destiné à un public de proximité, les Etats-Unis possèdent encore aujourd’hui des cinéastes qui travaillent exclusivement dans l’état où ils sont implantés, tirant bénéfice des décors naturels et des coutumes et traditions locales. Inutile de préciser que ce sont la plupart du temps des séries Z destinées à alimenter les drive-in puis les chaînes câblées. C’est le cas de William Grefé (né en 1930 à Miami) qui a tourné tous ses films en Floride, à la ville et à la campagne, et souvent dans les Everglades, immense et sauvage parc national réputé pour sa faune, sa flore et ses marécages qui accueillit les principales prises de vues des Aventures du capitaine Wyatt de Raoul Walsh en 1951 et de La Forêt interdite de Nicholas Ray en 1958.

Ignoré par les encyclopédies du cinéma, Grefé semble aujourd’hui bénéficier d’un regain d’intérêt de la part des cinéphiles amateurs de films à petit budget. Horreur, épouvante, films de bikers, de délinquance juvénile… William Grefé s’est illustré dans plusieurs genres avec un sens certain de l’opportunisme à défaut d’un véritable talent. Son titre le plus célèbre et le mieux distribué – il connut même une sortie salle en France – est Les Mâchoires de l’épouvante (Mako: The Jaws of Death, 1976) qui profita lors de sa promotion publicitaire du triomphe récent des Dents de la mer de Spielberg. Pourtant point de requin géant dans le film de Grefé mais Sonny Stein (Richard Jaeckel), un vétéran de la Guerre du Pacifique bien atteint qui a découvert lors d’une mission aux Philippines qu’il possédait une connexion mystique avec les requins. Un médaillon lui garantit une protection magique contre les dangereux poissons, auquel il va consacrer sa vie de retour au pays (Key West, Florida). Asocial, il préfère la compagnie des requins à celle des hommes, n’hésitant pas à tuer les pécheurs s’attaquant à ses amis les squales. Portrait d’un psychopathe assassin, Les Mâchoires de l’épouvante décalque en fait un film précédent de Grefé, Stanley (1972) dans lequel un Indien Seminole habitant des Everglades utilisait des serpents pour accomplir sa vengeance – lui-même copié sur un autre gros succès commercial de l’époque Willard de Daniel Mann (avec des rats).

Richard Jaekel

Richard Jaeckel

L’originalité des Mâchoires de l’épouvante par rapport aux autres films avec des requins (un sous-genre déclenché par Les Dents de la mer) consiste à montrer les hommes comme les véritables monstres de l’histoire. Violeurs, escrocs et autres personnages ignobles physiquement et moralement constituent une galerie de rebuts de l’humanité bientôt dévorés par des requins, avec la complicité de Sonny. Les requins sont des vrais requins, les lieux de tournage sont bien réels aussi, dans leur banale laideur : on apprécie ce petit film sans qualité qui cultive tranquillement son esthétique plouc et adhère au point de vue de son pathétique antihéros.

 

Le sens inné de la récupération ou de l’auto plagiat de Grefé se vérifie à la vision du deuxième et très obscur film disponible en bonus sur le DVD.

Si Richard Jaeckel semble en petite forme et guère concerné dans Les Mâchoires de l’épouvante, que dire de la prestation grand-guignolesque de William Shatner dans Secret Pulsion, titre vidéo français (?) de Impulse, thriller horrifique réalisé en 1974. C’est un nouveau portrait de dingue que nous propose Grefé, cette fois-ci un escroc, macho et gigolo à l’horrible garde-robe et à l’humour lourdingue qui assassine certaines de ses conquêtes féminines à cause d’un traumatisme enfantin révélé dès la séquence pré générique. William Shatner, incroyablement mauvais, est la principale attraction de ce petit « slasher » de série Z qui se fait remarquer par ses nombreux emprunts décomplexés aux chefs-d’œuvre de Hitchcock (Psychose, Pas de printemps pour Marnie, L’Ombre d’un doute) et reproduit un plan célèbre de La Nuit du chasseur (le cadavre d’une femme dans une voiture au fond de l’eau, avec sa chevelure qui ondule au gré du courant), preuve que Grefé, à défaut d’être un bon cinéaste, connaissait ses classiques.

Jaquette vidéo française de Impulse

Jaquette vidéo française de Impulse

 

Ce DVD a la particularité de ne proposer que la version française d’origine des deux films, et permet donc de les découvrir tels qu’ils furent exploités en France dans les salles de quartier pour l’un, dans les vidéos clubs pour l’autre. Sans parler de la qualité VHS des copies. La postsynchronisation est hasardeuse et les dialogues français savoureusement vulgaires. Cela renforce la dimension nostalgique de cette galette, loin du nettoyage numérique dont bénéficie désormais la moindre œuvrette exhumée de l’oubli. Les Mâchoires de l’épouvante était régulièrement programmé au Brady, cinéma parisien autrefois spécialisé dans le fantastique en double programme avec d’autres séries B ou Z, mais j’avais toujours raté l’occasion de le voir quand je fréquentais cette salle. C’est enfin chose faite, grâce à Crocofilms.

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Les Briseurs de barrages de Michael Anderson

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Toujours dans sa belle collection de raretés du cinéma britannique Studiocanal permet de (re)découvrir en DVD et Blu-ray à partir du 17 mars Les Briseurs de barrages (The Dam Busters, 1955) de Michael Anderson, grand classique du film de guerre anglais d’après une histoire vraie qui se révèle à la hauteur de sa réputation, avec Michael Redgrave et Richard Todd (photo en tête de texte) dans les rôles principaux.

Michael Anderson, cinéaste commercial à la longévité impressionnante a réalisé de nombreux films dans son Angleterre natale, en Europe ou aux Etats-Unis et on lui doit quelques superproductions d’aventures, d’espionnage ou de science-fiction très plaisantes comme Cargaison dangereuse, Opération Crossbow, Le Secret du rapport Quiller, Les Souliers de Saint-Pierre, L’Age de cristal ou Orca.

Nul doute que ce fut Les Briseurs de barrages, son septième long métrage, qui lui ouvrit les portes de Hollywood après des débuts plus confidentiels. Le film se distingue en effet par ses qualités d’interprétation et de mise en scène, la rigueur de son écriture mais aussi ses effets spéciaux extraordinaires, parmi les meilleurs jamais réalisés pour ce type de productions. Pas étonnant que l’on retrouve souvent par la suite le nom de Anderson associé à des films fantastiques ou à grand spectacle ayant recours à des trucages optiques et à des maquettes.

Les Briseurs de barrages retrace la longue et minutieuse préparation puis l’exécution d’un raid aérien de bombardiers de la RAF visant à détruire des barrages situés dans la Ruhr, afin de mettre à mal l’alimentation en eau dont l’industrie lourde allemande avait besoin pour la fabrication de l’acier dans ses usines d’armes.

Entrainés dans le plus grand secret durant plusieurs mois les hommes du 617ème escadron ne connurent l’objectif de leur mission que le jour même du décollage. Cette opération, nommée « Chastise », fut menée le 17 mai 1943.

L’idée révolutionnaire pour parvenir à faire exploser ces imposants barrages en terre ennemie vint d’un ingénieur anglais, le docteur Barnes Wallis, désireux de trouver une solution radicale pour mettre un terme aux intenses bombardements de l’aviation allemande sur Londres. Barnes Wallis inventa une bombe rebondissante capable de faire plusieurs ricochets sur l’eau après son largage avant d’atteindre sa cible. Cette bombe permettait d’éviter les filets anti torpilles installés par les Allemands, puis d’utiliser la pression de l’eau pour provoquer la destruction du barrage en explosant contre sa paroi.

Les Briseurs de barrages

Michael Redgrave (au centre) dans Les Briseurs de barrages

L’histoire de cette invention nécessitant d’innombrables essais et réglages occupe la première partie du film de Anderson. Wallis est interprété par Michael Redgrave, qui fait du scientifique un homme exalté par ses recherches, s’épuisant à la tache et en butte à la méfiance et au scepticisme de l’état-major de la RAF. La frontière est étroite entre l’obsession et la conviction, la persévérance et la folie : la méticulosité de Wallis, son acharnement à prouver qu’il a raison envers et contre tous – ressort scénaristique qui prend des libertés avec la réalité – en font l’un des innombrables personnages de monomaniaques du cinéma anglais, dont le perfectionnisme froid, l’indifférence hautaine ou l’excentricité correspondent à l’image véhiculée par la production britannique classique.

La seconde partie, plus courte, passe le relais au lieutenant-colonel Guy Gibson (Richard Todd), vétéran de la RAF qui va composer un escadron spécial pour cette mission top secret. Dans le raid tel qu’il est décrit dans le film, les Anglais font sauter deux barrages sur trois. En vérité, il s’agissait d’un objectif de six barrages et quatre restèrent intacts. Présentée comme un succès, cette opération fut dans les faits une victoire à la Pyrrhus et même un demi-échec militaire, même si sur le plan diplomatique elle remplit sa fonction qui était de prouver à Staline que le Royaume-Uni pouvait être un allié efficace dans la lutte contre Hitler. Elle se solda par de lourdes pertes humaines et matérielles pour les Anglais : 56 hommes périrent lors de l’opération et huit forteresses volantes furent descendues par la lutte anti-aérienne allemande.

Les Briseurs de barrages

Les Briseurs de barrages

Conçue pour stopper la puissance industrielle allemande, la destruction des deux barrages n’eut qu’une faible incidence sur la production sidérurgique de la vallée de la Ruhr. Seul un barrage sur deux, celui de la Möhne, alimentait en eau les usines de la Ruhr. Sa réparation rapide permit à la situation de leur alimentation de revenir à la normale en quelques mois. L’opération « Chastise » eut en revanche comme effet collatéral positif de renforcer la défense anti-aérienne allemande et donc d’affaiblir la présence de la Luftwaffe sur le front russe et les côtes normandes, préparant ainsi la victoire finale des Alliés.

La destruction du barrage de l’Eder n’eut aucune incidence sur la production des usines car il n’alimentait pas la vallée de la Ruhr, mais elle provoqua la mort de 1294 personnes, parmi lesquelles 749 prisonniers de guerre français et ukrainiens stationnés dans un camp juste au-dessous du barrage.

 

La conclusion du film de Michael Anderson, si elle reste silencieuse sur ces informations inconnues des Anglais au lendemain de l’opération, évite néanmoins tout triomphalisme. La mise en scène insiste sur les chaises vides des pilotes qui ne sont pas revenus, aucune manifestation de joie mais au contraire un silence de mort et de tristesse de la part des survivants.

Idéaliste naïf piégé par son obstination, Wallis comprend trop tard que son invention, aussi géniale fut-elle, a pris la vie de nombreux soldats sans engendrer les résultats tactiques escomptés. Typique de la cinématographie britannique, toujours prompte à célébrer les grandes victoires comme les terribles défaites, Les Briseurs de barrages est avant tout un film sur les pièges de l’orgueil et les revers de la gloire.

 

 

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Classiques du cinéma érotique japonais

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Dans la collection « Culte et Underground » Zootrope Films et Luminor rééditent le 7 avril trois classiques de l’érotisme japonais plus un inédit (La Maison des perversités) en DVD. Le titre du coffret est édulcoré pour ne pas heurter les oreilles françaises : « Romans érotiques vol. 1 » alors que ce type de films sont désignés au Japon sous l’appellation « roman porno », même s’il ne s’agit pas à proprement parler de pornographie, du moins selon l’acceptation occidentale, les scènes de sexe explicite et le fait de montrer des pilosités ou des organes génitaux étant strictement interdits par la censure japonaise. Le terme de « roman porno » (« roman poruno », « roman » pour « romantique » et « porno » dans le sens d’érotisme soft) est plutôt une trouvaille marketing de la société Nikkatsu, qui produira de nombreux films de ce genre à partir de 1971. La principale différence entre les « roman porno » et les films traditionnels érotiques produits auparavant par la Nikkatsu ou d’autres compagnies (les « pinku eiga », « films roses ») réside essentiellement dans la dimension sadomasochiste de ces productions qui contournent la sévérité de la censure nippone en matière de sexe pour développer des pratiques plus violentes et paradoxalement plus acceptables comme le « bondage » et autres spécialités sadiques et déviantes. Il en résulte des films à l’atmosphère trouble et perverse, parfois extrêmement choquants et excessifs, qui permirent à certains réalisateur de s’épanouir artistiquement dans un registre au cahier des charges pourtant bien défini, mais ouvert aux délices de l’imagination sans limite et aux pièges du plaisir.

 

Bien connus de nos services, les titres en question comptent parmi les plus appréciés dans leur pays natal et en Occident au sein d’une production pléthorique, signés par des cinéastes identifiés comme des auteurs talentueux, passionnés par l’érotisme et son pouvoir de subversion, pas de simples exécutants.

Cinéaste de la Nikkatsu spécialisé dans le « roman porno », Masaru Konuma fut dans sa jeunesse un grand lecteur de Sade et de Tanizaki et l’auteur d’une thèse universitaire sur Godard. Derrière la caméra il franchit allégrement les limites de la bienséance, va encore plus loin que ses confrères dans le sadomasochisme, la scatologie et l’urolagnie et raconte avec délectation les pires histoires d’amour fou. Comme Konuma est un obsédé sexuel mais aussi un brillant metteur en scène, on peut sans exagération classer La Vie secrète de Mme Yoshino (Kashin no irezumi : ureta tsubo, 1976) parmi les joyaux du cinéma érotique japonais, à réserver cependant à un public très averti. Le cinéma de Konuma doit beaucoup à son actrice fétiche, Naomi Tani, superstar de l’érotisme nippon avec pas moins de 200 films en douze années de carrière, symbole de la modernité sexuelle dans son pays, et accessoirement reine du « bondage » nippon. Elle tourna ses meilleurs films sous la direction de Konuma, et leur relation artistique fut pour le moins houleuse et problématique. La Vie secrète de Mme Yoshino est un mélo SM douloureux pour les sens du spectateur et le corps magnifique de Naomi Tani soumis à l’épreuve du tatouage.

La Vie secrète de Mme Yoshino

La Vie secrète de Mme Yoshino

Madame Yoshino (Naomi Tani) est veuve et élève seule sa fille qui s’éveille à l’amour et jalouse la beauté de sa mère. Cette dernière a passé toute sa vie dans les coulisses du théâtre kabuki et confectionne des poupées de papier traditionnelles. Un jour, les deux femmes rencontrent un jeune homme qui se révèle le fils de l’acteur qui a violé Madame Yoshino dans son adolescence. La fille tombe amoureuse du garçon en ignorant tout du secret de sa génitrice tandis que notre héroïne sombre dans la folie, superposant le corps et l’image de son ancien tortionnaire avec ceux de son fils. Dans le cadre étroit du cinéma d’exploitation, avec l’obligation de satisfaire un public de voyeurs, Konuma réussit néanmoins un splendide mélodrame pervers dans lequel les scènes de sexe sont autant d’étapes dans la psychose traumatique de Madame Yoshino qui revit les étreintes douloureuses avec son amant maléfique et tatoueur. La mise en scène est constamment inventive, jusqu’au finale paroxystique où un jeu de miroirs fait éclater la schizophrénie et la folie meurtrière du personnage.

La Vie secrète de Mme Yoshino

La Vie secrète de Mme Yoshino

 

Les trois autres titres sont Sayuri strip-teaseuse de Tatsumi Kumashiro, La Véritable histoire d’Abe Sada et La Maison des perversités réalisés par Noboru Tanaka

La Maison des perversités

La Maison des perversités

La Maison des perversités (Edogawa Ranpo ryôki-kan: Yaneura no sanposha, 1976) est inspiré d’une nouvelle de Edogawa Rampo, figure du roman policier japonais connu pour ses histories de détective et ses études psychologiques, fréquemment adapté au cinéma. Le film de Tanaka se déroule en 1923 à Tokyo. Le propriétaire d’un immeuble passe son temps dans les combles à espionner les rendez-vous secrets de ses locataires par le plafond de leurs appartements, jouissant d’observer leurs étranges ébats sexuels. Une bourgeoise tue son ennui avec un amant déguisé en clown. Une prostituée tue un client en l’étouffant avec ses jambes pendant l’orgasme. Devant un tel spectacle, notre voyeur est persuadé d’avoir trouvé l’âme sœur et va approcher la mante religieuse. Les amants criminels finiront broyés dans les décombres de la maison. Film assez génial sur le voyeurisme et différents rites de domination et de soumission – inoubliable esclave fauteuil enfermé dans le mobilier qui jouit du contact de la peau de sa maîtresse à travers le velours rouge du siège lorsqu’elle s’assoit sur lui, La Maison des perversités enregistre une multitude de micro séismes orgasmiques, meurtriers ou sensuels dans l’intimité des salons ou des chambres à coucher, qui culminent à l’échelle d’une région avec le grand tremblement de terre du 1er septembre 1923 qui toucha la plaine de Kanto et détruisit plusieurs quartiers de Tokyo. Une conclusion dévastatrice comme les affectionne le « roman porno ».

La Véritable Histoire d’Abe Sada (Jitsuroku Abe Sada, 1975) relate, dans les années 30 à Tokyo, la passion amoureuse et sexuelle entre une ancienne geisha et un restaurateur, qui débouche sur un acte de folie. Né en 1905, Abe Sada tua son amant Kichizo Ishida par asphyxie érotique puis lui coupa le pénis et les testicules qu’elle garda dans son sac à main plusieurs jours, avant d’être arrêtée par la police pour vagabondage, ivre de joie. Ce fait-divers défraya la chronique et demeure l’une des affaires criminelles les plus célèbres de l’histoire du Japon. Kichizo Ishida fut condamnée à six d’emprisonnement puis se convertit en tenancière de bar une fois sa peine purgée. Elle bénéficia d’une grande sympathie de l’opinion publique, qui comprit son acte comme une manifestation d’amour fou. Un an après la version de Tanaka Nagisa Oshima filmera à son tour l’histoire d’Abe Sada dans L’Empire de sens, qui connaîtra un triomphe international en grande partie grâce à ses scènes de sexe non simulée, brisant les tabous culturels japonais en même temps que l’esthétique et les contraintes du « roman porno ».

C’est avec ces deux films d’époque et quelques autres que Tanaka va acquérir la réputation d’un petit maître de l’érotisme au style plus sophistiqué que d’autres cinéastes de la Nikkatsu spécialisés dans le « roman porno ». La Véritable Histoire d’Abe Sada et La Maison des perversités sont plus raffinés et moins brutaux que la moyenne des films du genre. Les deux films sont interprétés par Junko Miyashita (photo en tête de texte dans La Véritable Histoire d’Abe Sada) l’une des grandes vedettes de l’érotisme nippon que l’on peut aussi admirer dans plusieurs titres édité en DVD par Wild Side dans sa collection « roman porno japonais » comme par exemple Hong Kong Requiem de Masaru Konuma.

Sayuri strip-teaseuse

Sayuri strip-teaseuse

Quant à Sayuri strip-teaseuse (Ichijo Sayuri nureta yokujo, 1972), il s’agit de l’un des nombreux films « humides » – terme qui revient dans toute une série de titres – signés Tatsumi Kumashiro pour la Nikkatsu. Ce portrait d’une strip-teaseuse qui joue son propre rôle à l’écran est typique du cinéma de Kumashiro, préoccupé par le commerce du sexe et des corps féminins. Dans un bar populaire d’Osaka, la célèbre strip-teaseuse Sayuri Ichijo joue une scène dans son spectacle, alors que la jeune Harumi fait son apparition et décide de ne pas faire de cadeau à Sayuri, tentant de dépasser son niveau. On aura reconnu dans ce canevas dramatique une variation autour du Eve (All About Eve, 1950) de Joseph L. Mankiewicz, chef-d’œuvre qui inspirera également Paul Verhoeven et son scénariste Joe Eszterhas pour Showgirls en 1995.

Pour plusieurs de ses films, Kumashiro proposa à des strip-teaseuses de jouer leurs propres rôles devant sa caméra, entourées de vraies actrices. Cette recherche de l’hétérogénéité des corps et des visages épouse un projet plus vaste de Kumashiro qui mêle dans son film, grâce à un montage heurté, des plans très composés (souvent des plans-séquences) et des images qui semblent volées à la réalité. Sous une agitation de façade, le cinéma de Kumashiro réussit par une structure éclatée à rendre compte de la confusion du monde qu’il dépeint (le quartier des théâtres de strip-tease et des bars à hôtesses). Visiblement influencé par le Godard de Deux ou trois choses que je sais d’elle et par les pamphlets révolutionnaires des jeunes hommes en colère Oshima et Imamura, Kumashiro relie le sexe et la politique avec une saine virulence et un humour ravageur. Contrairement à Konuma ou Tanaka Kumashiro ne s’intéresse pas à des cas de « psychopathia sexualis », prétextes à une apologie de la transgression de la morale bourgeoise. Chez Kumashiro, le sexe et un outil de travail, intégré dans un système de commerce sexuel qui va du club de strip-tease au bordel. Mais les films de Kumashiro sont révolutionnaires dans le sens où le sexe devient aussi une émancipation, une ouverture par la jouissance à la liberté. J’existe, donc je jouis. À l’opposé de certains jeux formels assez vains du cinéma japonais influencé par le manga et terriblement désincarné jusque dans ses excès érotiques, le cinéma de Kumashiro place le corps de ses actrices au cœur de ses dispositifs scéniques. La vérité est la matière première de son cinéma, qui mélange différents degrés de réel. Actrices et « professionnelles » se côtoient, coïts simulés et performances « live » se succèdent. L’hétérogénéité toujours, et la mixtion du sexuel et du politique, de manière à peine moins heurtée que chez Wakamatsu.

 

Un volume 2 est prévu le 5 mai avec notamment Fleur secrète (1974) une autre réussite au parfum vénéneux de Masaru Konuma toujours avec la superbe Naomi Tani, capable de sublimer à l’écran les actes les plus choquants ou triviaux. On en reparlera.

 

 

 

 

 

 

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ARTE France Cinéma coproduit les films de Axelle Ropert, Caroline Deruas, Mohamed Diab et Arnaud des Pallières

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Le comité de sélection d’ARTE France Cinéma, qui s’est réuni le 19 mars, a décidé de soutenir quatre nouveaux projets de longs métrages : un premier film français, deux films français et une coproduction internationale, représentatifs de la diversité et de l’originalité du cinéma contemporain, et aussi de son renouveau avec trois jeunes auteur(e)s à l’orée de leur carrière, et un cinéaste qui se réinvente avec un portrait de femme très impressionnant.

 

Axelle Ropert

Axelle Ropert

La Prunelle de mes yeux (Les Films Pelléas), troisième long métrage de Axelle Ropert, sera interprété par des jeunes comédiens. La réalisatrice entend redonner à la comédie romantique actuelle, sous la double influence du cinéma américain et du classicisme français, le charme, l’élégance mais aussi la gravité et la mélancolie qui lui font souvent défaut. Les talents d’écriture et de direction d’acteurs de Axelle Ropert furent salués à l’occasion de ses deux précédents films La Famille Wolberg (2009) et Tirez la langue, mademoiselle (2013).

Scénariste, cinéaste et aussi critique de cinéma Axelle Ropert souhaite insuffler à son prochain film La Prunelle de mes yeux une drôlerie qui n’est pas incompatible avec l’émotion.

« C’est un film qui démarre comme une blague, se métamorphose en drame et finit en histoire d’amour. Ou comment une mauvaise plaisanterie conduit à des conséquences violentes et s’achève en réconciliation apaisée. » (Axelle Ropert)

 

Caroline Deruas

Caroline Deruas

L’Indomptée (Thelma Films) sera le premier long métrage de Caroline Deruas, dont on avait beaucoup aimé les courts métrages (L’Etoile de mer, Les Enfants de la nuit) et qui a aussi coécrit Un été brûlant, La Jalousie et L’Ombre des femmes – bientôt sur les écrans – de Philippe Garrel. Tourné à Rome dans le cadre fantastique de la Villa Médicis, L’Indomptée conte la relation entre deux jeunes artistes, une photographe et une écrivaine, mais surtout l’histoire d’une libération personnelle par le filtre de l’imaginaire.

 

Clash (Sampek Productions / Film Clinic) sera le deuxième long métrage du réalisateur égyptien Mohamed Diab (photo en tête de texte), très remarqué avec son premier film Les Femmes du bus 678, œuvre courageuse et forte sur le harcèlement sexuel auquel étaient confrontées plusieurs femmes Cairotes et qui remporta un succès mérité au moment de sa sortie en 2012.

Inspiré d’un événement réel, Clash se déroule presque entièrement dans un fourgon anti-émeute lors d’une manifestation au Caire à la suite de la destitution du président égyptien Morsi en 2013. Un véritable tour de force cinématographique qui permet d’appréhender d’une manière intensément dramatique et humaine les enjeux et les conflits autour du Printemps arabe.

 

Arnaud des Pallieres © Patrice Terraz Festival Alès

Arnaud des Pallières © Patrice Terraz

Orpheline (Les Films Hatari / Les Films d’Ici) écrit par Arnaud des Pallières et Christelle Berthevas, interprété par Adèle Haenel, sera le prochain long métrage de l’auteur de Michael Kohlhaas (2013). L’histoire d’une femme à quatre âges de sa vie.

« Devant le projet d’Orpheline, j’éprouve le sentiment d’avoir à mettre mon travail au service d’une histoire qui est plus qu’une fiction et ne m’appartient pas. Celle de la lutte d’une femme pour sa vie, sa liberté et son identité. » (Arnaud des Pallières)

 

Ces quatre films sont attendus en 2016.

 

 

 

 

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L’espion qui venait du surgelé de Mario Bava

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Artus édite le 7 avril dans sa collection « ciné fumetti » dédiée aux films italiens pop des années 60 inspirés par le style des bandes dessinées de l’époque un double DVD qui propose un film assez rare et inédit en France que l’on peut enfin découvrir dans ses deux versions – italienne et américaine : Le spie vengono dal semi freddo de Mario Bava (1966), alias Dr. Goldfoot and the Girl Bombs aux Etats-Unis, alias L’espion qui venait du surgelé, titre inventé récemment pour la télévision et le DVD en France.

Ce film fait suite au Dr. Goldfoot and the Bikini Machine (1965) de Norman Taurog, succès de American International qui était parvenu à concilier la mode du film d’espionnage à la James Bond et les films de plage avec musique rock et concours de surf destinés au public adolescent. Vincent Price, promu vedette des films AIP depuis le cycle Poe de Roger Corman, y interprétait un super méchant d’opérette, parodie des génies du crime combattus par l’agent 007 dans les adaptations des romans de Ian Fleming.

Vincent Price mécontent de se faire voler la vedette par Franco et Ciccio dans L'espion qui venait du surgelé

Vincent Price mécontent de se faire voler la vedette par Franco et Ciccio dans L’espion qui venait du surgelé

American International avait conclu dans les années 60 un marché avec un producteur italien, Fulvio Lucisano qui les fournissait en films de genre transalpins doublés et remontés pour le marché américain et les spectateurs des drive-in. C’est ainsi que l’idée d’une suite tournée à moindre frais en Italie germa dans l’idée de James H. Nicholson. De son côté Lucisano imagine la greffe un peu monstrueuse entre les sinistres exploits de Docteur Goldfoot – ici à la tête d’une armée de femmes robots explosives – et les aventures de Franco et Ciccio, un duo de comiques siciliens, sortes de Abbott et Costello transalpins qui venaient de triompher dans une parodie de film d’espionnage. Confier cette pantalonnade à Mario Bava – qui n’avait jamais travaillé avec Franco et Ciccio, contrairement à Lucio Fulci qui débuta dans la comédie avant de se consacrer au thriller ou à l’horreur – n’était pas le meilleur choix du monde, d’autant plus que Bava, sans doute peu concerné par cette commande, négligea l’aspect visuel du film – pourtant son point fort – et n’en réalisera pas les effets spéciaux et trucages optiques, contrairement à son habitude. Les femmes robots et le laboratoire bariolé de Goldfoot, éléments propres à la science-fiction des années 60, ne parviennent pas à faire de cette parodie délirante un film où l’on retrouve le style du maître de l’épouvante italienne. Bava se rattrapera deux ans plus tard dans le génial Danger, Diabolik!. Dans la version originale italienne proposée par Artus, Franco et Ciccio éclipsent totalement Vincent Price, qui devient une vedette américaine invitée, au grand désarroi de l’acteur et des producteurs américains qui rétabliront une autre hiérarchie lors de l’exploitation – désastreuse – du film aux Etats-Unis, où les Siciliens grimaçants seront relégués au rang d’apparitions folkloriques.

L’unique qualité de la version américaine par rapport à l’italienne est de proposer davantage de scènes avec la magnifique Laura Antonelli – dans son premier rôle au cinéma – en petite tenue.

Laura Antonelli en morceaux dans L'espion qui venait du surgelé

Laura Antonelli en morceaux dans L’espion qui venait du surgelé

La personnalité envahissante du duo comique contamine tout le film italien de sa folie furieuse, débordant aussi les intentions – s’il en avait sur ce tournage – de Mario Bava.

Encouragés par la bêtise du scénario et son décorum pop, Franco et Ciccio transforment L’espion qui venait du surgelé en un monument de régression infantile. Il faut pouvoir rire sans complexe aux gags les plus énormes et aux grimaces les plus affreuses pour apprécier les deux comiques en général et cette bizarrerie filmique en particulier. Si on a gardé son âme de sale gosse, on adore Franco et Ciccio dont l’humour, quoique douteux, est souvent hilarant. C’est le principal. Toutes les bassesses (grimaces, méchanceté, sadisme, travestissement) sont permises si elles font rire de bon cœur. Franco (le petit nerveux) et Ciccio (le grand lymphatique) formèrent dans les années 60 le duo comique le plus populaire d’Italie. Comme Totò avant eux, Ils ont systématiquement tourné en dérision les films à succès, même les plus inattendus, dans des parodies fauchées et bâclées qui reposent entièrement sur leurs épaules de duettistes tarés. Leur filmographie s’évertuait à parodier – jusque dans les titres – les succès du box office ou les genres populaires : Belle de jour devint ainsi Brutto di notte (« moche de nuit ») et L’espion qui venait du froid, « L’espion qui venait du semifreddo » – nom d’un désert glacé italien, équivalent de notre « parfait ».

Il y a quelque chose d’un peu effrayant dans leur faciès de crétins congénitaux. Le burlesque de Franco et Ciccio, exclusivement porté sur la laideur physique, la débilité et l’agressivité sexuelle, fait peur. On en oublierait presque de se tordre de rire tellement ces deux « stooges » siciliens détruisent l’ordre, la morale et surtout le bon goût et l’intelligence.

Franco et Ciccio dans L'espion qui vient du surgelé : l'art de la grimace et du n'importe quoi

Franco et Ciccio dans L’espion qui venait du surgelé : l’art de la grimace et du n’importe quoi

Adorés par le peuple et les enfants, méprisés par les autres, Franco et Ciccio comptaient aussi parmi leurs admirateurs des fans de la contre-culture et de l’underground, Carmelo Bene ou Pier Paolo Pasolini – qui les dirigea dans un court métrage sublime Che cosa sono le nuvole?. Ils furent courtisés par la fine fleur du cinéma d’auteur italien (Risi, Comencini) et parvinrent même à dérider les austères frères Taviani (dans un sketch de Kaos coupé lors de sa distribution française) avant de se séparer au début des années 80 et de poursuivre chacun de leur côté d’hasardeuses carrières devant et derrière la caméra. En 1975 Franco Franchi a repris le rôle de Marlon Brando dans un surprenant Ultimo tango a Zagarol tandis que Ciccio Ingrassia réalisait et interprétait une parodie de L’Exorciste sobrement intitulée L’Esorciccio.

En 2004 un autre couple célèbre de Siciliens azimutés, Franco Maresco et Daniele Ciprì leur consacra un émouvant documentaire : Come inguaiammo il cinema italiano – La vera storia di Franco e Ciccio (« Comment nous avons mis dans l’embarras le cinéma italien – La véritable histoire de Franco et Ciccio ».)

 

 

 

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Élégie de la traversée de Alexandre Sokourov

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Dans la nuit du mardi 31 mars au mercredi 1er avril à 0h25 La Lucarne permet de voir ou revoir sur ARTE Élégie de la traversée (Elegyia dorogi, 2001), soit 48 minutes de voyage nocturne et onirique qui conduisent Alexandre Sokourov au Musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam où il se projette dans les tableaux de Brueghel l’Ancien (La Tour de Babel) ou Van Gogh, cherchant les liens qui les relient aux paysages européens d’aujourd’hui. Les thèmes de la transmission par l’art d’une émotion collective et de la rémanence des choses et des lieux hantent la filmographie de Sokourov.

Au sein d’une production protéiforme, entre documentaire et fiction Alexandre Sokourov a signé plusieurs films élégies, ciné poèmes ou essais cinématographiques de durées diverses dans lesquels le grand cinéaste russe soliloque à voix haute sur l’homme, la spiritualité et la culture… Ces films chuchotés, loin des fresques monumentales consacrées aux figures du pouvoir et de la dictature constituent la part à la fois secrète et sublime d’une œuvre qui ne cesse de s’interroger sur la place de l’art dans le monde des hommes et celle de la Russie dans l’Europe.

Ces carnets de notes filmés s’accompagnent d’un extraordinaire travail sur l’image et le son qui dialogue avec la peinture, la musique et la poésie. Sokourov invente des images flottantes et aqueuses, qui ondulent comme des vagues de chaleur. Jamais une image vidéo n’aura été aussi proche d’un rêve, et même d’une idée. Chez Sokourov le musée n’est pas le lieu d’une conservation stérile de l’art mais un lieu ouvert sur le monde qui communique avec le passé, le présent et le futur, et permet par l’intermédiaire de l’art d’envisager une réflexion sur l’histoire de l’Europe. Cette recherche tend à une forme d’accomplissement – et de renouvèlement esthétique – dans le prochain chef-d’œuvre de Alexandre Sokourov, Le Louvre sous l’Occupation, que l’on pourra découvrir au cinéma dans le courant de l’année.

 

Coproduction ARTE France – La Lucarne, Élégie de la traversée sera disponible en Replay sur ARTE+7.

 

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Why Don’t You Play in Hell? de Sono Sion

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Luminor et Optimale éditent en DVD cette semaine le sensationnel Why Don’t You Play in Hell? (Jigoku de naze warui, 2013) de Sono Sion déjà disponible en supplément du numéro de mars de la revue Mad Movies.

Il est étonnant de constater que Sono Sion, contrairement à Takashi Miike qu’il égale presque en prolificité, n’a pas dépassé le statut de cinéaste underground réservé aux amateurs de curiosités filmiques, du moins hors des frontières du Japon. Nous l’avions découvert sur le tard avec l’excellent Guilty of Romance diffusé en 2013 sur ARTE, avant de visionner le film qui l’avait fait remarquer sur la scène internationale en 2001, Suicide Club, et quelques autres. Poète avant d’être cinéaste, pourfendeur des règles et des genres populaires, Sono Sion est un auteur inclassable, un artiste adepte du happening cinématographique, même si l’étrangeté et un imaginaire foutraque semblent dominer une filmographie capable se réserver aussi des plages de tranquillité et de relatif classicisme. The Land of Hope sur la catastrophe nucléaire de Fukushima, l’un de ses films les moins intéressants selon nous bénéficia pourtant d’une distribution en salles en France sans doute à cause de son sujet, tandis que Suicide Club ou Love Exposure, beaucoup plus enthousiasmants et représentatifs de son style déchainé et baroque, durent se contenter d’une sortie DVD. C’est également le cas de Why Don’t You Play in Hell?, qui confirme que Sono Sion, loin de s’assagir, est toujours le grand cinéaste punk du cinéma japonais, qu’il n’a pas froid aux yeux, sans pour autant sombrer dans la débilité trash et la provocation hideuse de certaines productions déviantes nippones.

Why Don’t You Play in Hell? est un film hors normes sur le thème de l’amour passionnel du cinéma, avec de nombreux éléments satiriques qui critiquent de l’intérieur la sous-culture pop, un peu à la manière d’un Frank Tashlin. L’interminable carnage final, au cour duquel deux gangs rivaux de yakusas s’entretuent devant les caméras d’une équipe de tournage, avec des hectolitres de sang déversé et des démembrements au sabre renvoie aux films de Kinji Fukasaku des années 70 et aussi à leurs parodies popularisées par Miike, Tarantino (Kill Bill) et quelques autres. L’originalité de Sono Sion ne consiste pas à se complaire dans l’excès et l’outrance, mais à proposer un méta film sur la violence et le cinéma, en pointant du doigt la dimension quasi domestique des images dans notre vie et la fascination qu’elles exercent sur nous, comme cette publicité au début du film dans laquelle une petite nymphette gesticule sur une chanson stupide. A l’opposée de ces images de fabrication industrielle porteuses d’une séduction obscène, les jeunes héros du film veulent produire un « cinéma guérilla », vénèrent le 35mm et se réunissent dans une salle de cinéma désaffectée, suscitant l’incompréhension de leur maigre auditoire. Le cinéma et le désir du cinéma chez les masses, remplacés par d’autres formes de divertissements, est mort avant la réalisation de leurs rêves. Why Don’t You Play in Hell? surprend aussi bien pour son invention visuelle que pour l’ambition de son scénario, qui mêle sur une dizaine d’années plusieurs personnages appartenant aux mondes pour le moins éloignés du cinéma underground et la pègre de Tokyo. Un collectif de jeunes adolescents apprentis cinéastes, les « Fuck Bombers » font le serment de révolutionner l’art cinématographique. Dix ans plus tard ils ne sont parvenus qu’à mettre en boîte une bande annonce d’un nanar d’action avec des ninjas, sans jamais trouver de financement pour le réaliser. Pendant ce temps un chef de clan doit à la fois faire face à ses ennemis yakuzas, à la sortie de prison de sa femme après avoir purgé une peine de dix ans pour le meurtre sauvage de ses agresseurs et à la disparition de sa fille, une starlette délurée de la J-pop. Les péripéties délirantes du film semblent s’organiser pour permettre un calembour visuel qui résume le propos de Sono Sion, déjà illustré avant lui par d’autres cinéastes postmodernes tels que Wim Wenders (L’Etat des choses) ou Abel Ferrara (Snake Eyes) : « to shoot » en anglais, signifie à la fois filmer avec une caméra et tuer par balles. L’acte d’enregistrer des images et celui de tirer des projectiles mortels peuvent être confondus à l’écrit mais aussi dans la réalité – et dans un film, avec un appareil de prise de vues qui peut se confondre ou se joindre à une arme à feu, et transformer l’objet filmé – normalement objet de désir ou d’intérêt – en cible. De cette constatation linguistique Sono Sion ne tire pas une réflexion mortifère sr la disparition du cinéma (Wenders) mais un spectacle ravageur et iconoclaste, qui débouche sur une fuite en avant, exaltée et dérisoire. Avec Why Don’t You Play in Hell? Sono Sion invente le nihilisme fun.

 

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Lady Paname de Henri Jeanson

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Gaumont édite en DVD et Blu-ray une curiosité qui ne manque pas de charme, l’unique long métrage réalisé par Henri Jeanson, Lady Paname (1949). Scénariste et dialoguiste vedette du cinéma français des années 30 et 40, célèbre pour son humour féroce, ses convictions de libre penseur et ses talents de polémiste, Jeanson fut longtemps tenté par le passage à la réalisation, pensant que ses aspirations à la mise en scène, lors de ses débuts au théâtre, avaient été sacrifiées au profit de ses facilités d’écriture. Lassé de mettre son art au service des autres, Jeanson décide de réaliser une comédie qui prend comme décor le monde du music hall et du Faubourg Saint Martin dans les années 20. Ce passage tardif derrière la caméra se soldera pourtant par un éreintement critique et un succès public mitigé, expérience malheureuse et sans lendemain qui laissera à son auteur un goût amer d’échec et de déception.

Gaby Morlay et Louis Jouvet dans Lady Paname

Gaby Morlay et Louis Jouvet dans Lady Paname

Pourtant Lady Paname n’est pas le désastre annoncé et se voit avec beaucoup de plaisir. Les dialogues sont étincelants d’esprit et de drôlerie, et méritent à eux seuls qu’on visionne le film. Jeanson y donne libre cours à sa verve libertaire et à son goût des bons mots, et c’est souvent irrésistible. Jeanson se souvient sans doute du chef-d’œuvre de Clouzot Quai des orfèvres en reformant deux ans plus tard le duo Suzy Delair/Louis Jouvet (soit la jeune arriviste et le vieux sage) dans une évocation souriante et nostalgique du milieu du music hall parisien. Il le fait certes sans la noirceur du film policier originel, avec une désinvolture absente chez Clouzot. Sa mise en scène n’a pas la précision du cinéaste maniaque, et le scénario est plus relâché, privilégiant les scènes et les numéros d’acteurs au détriment de l’harmonie de l’ensemble. On note un soin primordial accordé aux décors, avec une reconstitution minutieuse du Faubourg Saint Martin dans les studios de Billancourt, exhibée dès la première séquence du film, lorsque deux jeunes femmes, Caprice la future Lady Paname et sa meilleure amie sont abordées dans la rue par un satyre au physique étrange qui leur fait des propositions scabreuses : le spectateur reconnaît Landru… La mésentente régna sur le plateau entre Jeanson et ses interprètes principaux, Suzy Delair figure populaire du cinéma et de la chanson, idéale pour jouer une chanteuse de cabaret pleine de bagout et à la cuisse légère, et Louis Jouvet à son aise dans le rôle d’un photographe anarchiste adepte de la bigamie. Mais Lady Paname est aussi remarquable pour ses nombreux seconds rôles, personnages pittoresques de la scène ou de la rue. Mention spéciale à Raymond Souplex inoubliable en cabot vieillissant et rondouillard qui se retrouve éclipsé par l’arrivée de la vedette montante Lady Paname, de surcroit frappé par une série de catastrophes à cause d’une chanson porte-malheur. Il y a aussi Chacaton moraliste président d’une ligue de vertu à moitié fou en croisade contre les spectacles polissons, doté du même patronyme qu’un vrai fonctionnaire au Ministère de l’information qui essaya en vain de faire interdire le film, victime d’une blague de Henri Jeanson.

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Amadeus de Milos Forman

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ARTE diffuse dimanche 5 avril à 20h45 Amadeus (1984) de Milos Forman, film couvert d’Oscars (huit récompenses dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur) au même titre que l’autre triomphe américain du cinéaste tchèque neuf ans plus tôt, Vol au-dessus d’un nid de coucou, avec le même producteur Saul Zaentz. Entretemps Forman avait signé deux films d’époque dans lesquels la musique tenait déjà une place primordiale : Hair et Ragtime. Délaissant momentanément l’histoire des Etats-Unis Forman se plonge avec Amadeus dans la grande culture européenne du XVIIIème siècle, et effectue un retour à Prague, la ville de sa jeunesse et de ses débuts de cinéaste, sensée représenter Vienne pour les besoins du tournage.

F. Murray Abraham dans le rôle de Salieri

F. Murray Abraham dans le rôle de Salieri

Amadeus est d’abord une pièce de Peter Shaffer créée à Londres en 1979, elle-même inspirée d’une courte tragédie de Pouchkine, Mozart et Salieri. Au début des années 80 Roman Polanski interprétera et mettra en scène cette pièce en France et en Pologne, mais c’est Milos Forman qui sera chargé de porter Amadeus à l’écran, avec la complicité de Shaffer qui en écrit l’adaptation cinématographique.

Amadeus n’est en rien une biographie filmée de Mozart. C’est une œuvre de fiction qui prend beaucoup de libertés avec la réalité, notamment en ce qui concerne le cœur du film, la jalousie mêlée de fascination de Salieri (dont le récit adopte le point de vue) envers le plus grand compositeur du siècle, ou comment le talent ne peut rivaliser avec le génie. Impressionnant par le faste de ses décors et de ses costumes, Amadeus ne brille pas seulement par la beauté de ses images et de sa reconstitution historique, et passionne avant tout par son sujet. Plusieurs films de Milos Forman questionnent la place et le rôle de l’artiste dans la société, s’intéressent aux coulisses de la création. La musique de Mozart touche au sublime tandis que le jeune homme, sans grande éducation, plaisantin et volontiers paillard, se fait également remarquer par ses provocations et ses élans vitaux à la Cour de l’Empereur mélomane Joseph II. Amadeus se distingue aussi des autres superproductions américaines de prestige par l’absence de stars à son générique, remplacées avantageusement par d’excellents acteurs, à savoir F. Murray Abraham dans le rôle de Salieri et Tom Hulce dans celui de Mozart, tellement crédibles, justes et émouvants que le public les a à tous jamais identifiés au rôle de leur vie.

Mozart (Tom Hulce) et Salieri (F. Murray Abraham)

Mozart (Tom Hulce) et Salieri (F. Murray Abraham)

 

Amadeus sera disponible en Replay sur ARTE+7.

 

 

 

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Les Orgueilleux de Yves Allégret

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ARTE diffuse lundi 6 avril à 20h50 Les Orgueilleux (1953) de Yves Allégret, dans le cadre d’une soirée en hommage à Gérard Philipe. Le célèbre film d’Allégret est l’un des titres emblématiques d’un certain cinéma français « de qualité » des années 50, à la fois prestigieux et populaire, interprété par des grandes vedettes, mais honni par les Jeunes Turcs de la Nouvelle Vague en raison de son académisme et de son assujettissement à la littérature.

A l’origine des Orgueilleux il y a Typhus, scénario de Jean-Paul Sartre écrit en 1943 et qui se déroulait en Chine. Comme souvent avec Sartre le texte se révélera difficile à adapter à l’écran et le scénariste Jean Aurenche optera pour une transposition au Mexique – plus commode que la Chine pour un tournage à l’époque – et le typhus deviendra une épidémie de méningite cérébrospinale dans le village de Alvarado, dont la première victime est un touriste français. Cependant Les Orgueilleux doit encore beaucoup à la philosophie de Sartre, avec notamment le thème de la souillure qui traverse le film. La description d’une communauté vivant en autarcie dans une misère noire, exploitée par une poignée de puissants, renvoie à un autre succès tricolore sous influence mexicaine des années 50, Le Salaire de la peur de Clouzot, et correspond à l’engagement politique des auteurs impliqués dans le film, à commencer par son acteur principal.

Gérard Philipe et Michèle Morgan dans Les Orgueilleux

Gérard Philipe et Michèle Morgan dans Les Orgueilleux

Le cinéma d’Allégret se caractérise par une vision très noire de l’humanité et un goût du sordide. L’histoire des Orgueilleux permet au cinéaste d’exprimer cette tendance à la noirceur et aux situations dérangeantes. Allégret ne nous cache rien des vomissements d’un homme à l’agonie, des détails d’une ponction lombaire, des cafards qui pullulent…

Le film se déroule pendant la fête des morts, dans une atmosphère de religiosité. Pour certains plans, images et inserts Allégret s’inspire sans doute du Bunuel période mexicaine qui vint faire un tour sur le tournage.

La fin des Orgueilleux surprend par son optimisme: il s’agit d’une conclusion imposée au réalisateur par les producteurs, qui tranche cruellement avec le reste du film.

Les Orgueilleux conte avant tout la rédemption et le sursaut moral d’un ancien médecin sombré dans la déchéance et l’alcoolisme. Le personnage de Georges offre à Gérard Philipe l’occasion de casser son image d’éternel jeune premier séduisant et élégant. Allégret érotise Michèle Morgan elle aussi dans un registre éloigné de ses rôles habituels. L’humidité et la chaleur de sa chambre d’hôtel l’obligent à se dévêtir et la vision de l’actrice en soutien-gorge blanc aura longtemps un vif impact sur le public masculin, notamment sur un jeune cinéphile new-yorkais nommé Martin Scorsese.

 

 

 

 

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Rabah Ameur-Zaïmeche, le franc-tireur

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Rabah Ameur-Zaïmeche (photo en tête de texte prise lors de la Berlinale cette année où était présenté son nouveau film) a réalisé cinq longs métrages : Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe? en 2002, Bled Number One en 2006, Dernier maquis en 2008, Les Chants de Mandrin en 2011, Histoire de Judas en 2014, qui sort en France le 8 avril 2015. Ses films ont été montrés avec succès dans des grands festivals internationaux (Berlin, Cannes, Locarno), ont obtenu plusieurs récompenses et suscité l’intérêt de la critique. Il demeure, à notre avis, trop méconnu du grand public et en dehors de la France. En cinq films Rabah Ameur-Zaïmeche s’est imposé comme l’un des meilleurs cinéastes de sa génération, proposant un cinéma politique qui ose traiter de sujets sensibles comme la religion, l’immigration ou le monde du travail sans jamais sombrer dans le manichéisme ou la démonstration, et dont le discours s’exprime avant tout par la mise en scène, la poésie et l’observation du réel, même lorsqu’il décide de traiter des sujets historiques ou mythologiques.

Né en 1966 en Algérie, Rabah Ameur-Zaïmeche arrive en France en 1968, au moment de la deuxième grande vague d’immigration algérienne, et grandit dans la cité des Bosquets en banlieue parisienne. Après des études en sciences humaines, il fonde sa propre société en 1999, Sarrazink Productions située en banlieue parisienne à Montreuil, et produit ses films dont il est l’auteur complet, metteur en scène, scénariste et acteur. Cette indépendance est à la fois un choix et une nécessité. Rabah Ameur-Zaïmeche fait des films libres et radicaux sans rien demander à personne. Avec peu de moyens mais des grands résultats. Son regard sur la société et sa façon de faire du cinéma s’accommodent mal des diktats esthétiques et économiques du cinéma français. Il fait donc un cinéma de guérilla, chef de bande à la tête d’une petite tribu de collaborateurs et de techniciens, organisant des tournages de contrebande, avec une passion, une ferveur et un charisme qui compensent le manque d’argent – même si Histoire de Judas à bénéficié du soutien de l’Avance sur recettes du CNC et d’ARTE France, contrairement aux Chants de Mandrin, le tournage fut une aventure harassante. On ne peut qu’admirer ce type de démarche artistique et humaine, surtout lorsqu’elles s’accompagnent d’un immense talent de cinéaste.

Wesh wesh qu'est-ce qui se passe?

Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe?

Si Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe? marquait l’apparition d’un cinéaste plus que prometteur, et Bled Number One était un second long métrage magnifique, Dernier maquis, que nous avions montré à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2008 quand nous en étions le délégué général, demeure sans doute le film de Rabah Ameur-Zaïmeche le plus abouti à ce jour.

Bled number One

Bled Number One

Dernier maquis est l’histoire d’une communauté masculine perdue au fin fond d’une zone industrielle à l’agonie. Mao (interprété par Rabah Ameur-Zaïmeche, qui joue toujours un personnage dans ses films – Belissard dans Les Chants de Mandrin, Judas dans Histoire de Judas) est le patron d’une petite entreprise de réparation de palettes, et d’un garage. Les affaires vont mal, et la survie du groupe est menacée par la fermeture probable de la fabrique. Tous ses employés sont des immigrés, du Maghreb ou de l’Afrique noire. Ils sont tous musulmans et Mao compte sur l’islam pour imposer la paix sociale, étouffer les revendications et améliorer la productivité. C’est la raison pour laquelle il décide de construire une mosquée. Mais il prend la décision de choisir lui-même l’imam en désignant un homme parmi ses ouvriers. Cette absence de concertation va déclencher la colère et la division au sein des travailleurs. La crise qui secoue ce petit monde vivant en autarcie n’est pas seulement religieuse, elle est aussi économique. Lorsqu’il devient évident que Mao va devoir réduire ses activités et fermer le garage, ses relations s’enveniment avec une partie de ses employés, jusqu’au conflit et à la grève.

À la fin du film, Mao est seul dans la mosquée déserte qu’il a fait construire dans un garage.

Rabah Ameur-Zaïmeche dans son film Dernier maquis

Rabah Ameur-Zaïmeche dans son film Dernier maquis

Dernier maquis est un film auquel le réalisateur pensait depuis 2002. En attendant de pouvoir le mettre en scène, Rabah Ameur-Zaïmeche a fait un détour de la peinture pour arriver au film. Le réalisateur s’est mis à la peinture pour préparer le film, pendant l’écriture. Très vite, des couleurs se sont imposées pour définir le film. Le jaune, mais surtout le rouge, qui est la couleur des milliers de palettes qui structurent l’espace du film.

Pour Rabah Ameur-Zaïmeche, le rouge est la couleur du peuple de la révolution, de la révolte et de la passion. Le rouge a également une connotation communiste que le cinéaste n’occulte pas. Le nom du patron, Mao, est à la fois le diminutif de Mahomet le prophète de la religion musulmane, et Mao Tsé-toung, le chef historique de la révolution chinoise.

Comme Jean-Luc Godard, Rabah Ameur-Zaïmeche entend faire dialoguer ses films avec l’histoire du cinéma mais aussi les autres arts. Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe? entretenait un rapport très étroit avec la langue et la parole, transformant les cours d’une cité en véritable théâtre en plein air (c’est le côté Pagnol de RAZ.) Bled Number One était un film construit autour de la musique et le chant, avec la participation du compositeur Rodolphe Burger dont les solos de guitare et la présence physique intervenaient dans le déroulement du récit. Dernier maquis est un film très pictural, envahi de rouge. Cependant, il ne se limite pas à une puissance plastique, puisque le corps et la parole de ses protagonistes y jouent un rôle très important. Dans Histoire de Judas l’influence de la peinture est de nouveau frappante, avec des corps, des visages, des clairs-obscurs et des drapés échappés de toiles de Caravage ou Rembrandt.

Les palettes rouges de Dernier maquis n’ont peut-être pas la même valeur que les petits livres rouges empilés pour former une barricade dans l’appartement de La Chinoise de Godard. Mais elles possèdent une force symbolique qui est à la fois politique et visuelle.

Elles constituent un bon exemple de l’intervention artistique et poétique de Rabah Ameur-Zaïmeche sur le monde qu’il filme. Les palettes rouges existaient déjà dans le décor naturel où le cinéaste décida de s’installer avec son équipe. Il suffit juste d’en multiplier le nombre pour construire l’architecture visuelle du film. C’est la force élémentaire du cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche, qui crée un univers poétique et théâtral avec des matériaux extraits de la vie la plus concrète et laborieuse.

La dimension plastique est aussi importante que la dimension politique. Il n’est pas question de sacrifier la beauté du film à son efficacité didactique. Il en résulte une œuvre parfois onirique, pourtant solidement ancrée dans une réalité sociale jamais abordé à l’écran, par peur, ignorance ou indifférence.

Le film s’adapte au décor, une zone industrielle, et non l’inverse. Si le cinéaste et son équipe s’invitent dans une véritable fabrique, ils travaillent côte à côte avec les ouvriers, qui participent au film en tant qu’acteurs tout en continuant à effectuer leur labeur quotidien. C’est un exemple singulier d’intégration d’un projet artistique dans le monde du travail, d’un respect pour ce et ceux qui sont filmés. Il s’agit de partager un espace, un théâtre où se mêlent les comédiens professionnels et occasionnels, la fiction et la réalité. C’est dans cette fusion harmonieuse entre la fiction (politique, mythologique ou poétique) et la réalité, le dispositif et l’enregistrement, que RAZ rejoint à sa manière des cinéastes tels que Albert Serra, Miguel Gomes ou Lisandro Alonso. Il ne s’agit plus, comme dans le cinéma traditionnel, d’introduire des « petits faits vrais » pour donner un surcroît de réalisme à une fiction artificielle, mais au contraire d’injecter une histoire, des idées, au monde qui nous entoure et à ses habitants. Ce n’est plus le réel qui s’invite dans la fiction, comme dans tous les films (chaque film, même hollywoodien est un documentaire sur son tournage), mais la fiction qui contamine, enrichit le monde tel qu’il est devant la caméra.

 

Dernier Maquis est tout sauf un film social, un cinéma de la bonne conscience qui repose sur un processus d’identification du spectateur aux personnages, désigne les maux et propose des remèdes, en suivant un projet scénaristique très conventionnel, quasiment hollywoodien.

Rabah Ameur-Zaïmeche pratique un cinéma qui au contraire exprime la complexité de la vie et des hommes. Le cinéaste réussit un film politique sans idéologie, qui pose les problèmes du travail et de la religion, aborde la question cruciale de l’instrumentalisation de l’islam dans le monde ouvrier, sans prétendre apporter de solutions ou de réponses. Le film ne veut rien démontrer, il est hostile à la moindre tentation manichéenne. Dans un film à la gloire des exclus et des opprimés, Mao le patron n’est jamais présenté comme un salaud ou un exploiteur. C’est un homme seul qui doit affronter les problèmes d’un patron de petite entreprise. Rabah Ameur-Zaïmeche s’approprie l’adage renoirien selon lequel tous les personnages ont leurs raisons, qu’il est impossible de les juger ou de les condamner. Si on pense beaucoup à Marcel Pagnol et à Jean Renoir (en particulier Toni) devant Dernier maquis, Rabah Ameur-Zaïmeche ne cache pas son admiration pour John Ford, barde des communautés problématiques, et Howard Hawks, le cinéaste qui filmait à hauteur d’hommes. Rabah Ameur-Zaïmeche partage avec ces grands cinéastes le goût de la digression incongrue (la découverte d’un ragondin dans le garage offre au film un aparté burlesque), la bienveillance pour le moindre figurant, le sens du burlesque. Car Dernier maquis n’est jamais un film austère et théorique, mais déborde de vitalité, d’énergie et aussi d’humour.

Les Chants de Mandrin

Les Chants de Mandrin

Trois ans plus tard Rabah Ameur-Zaïmeche consacra un film aux compagnons de Louis Mandrin, célèbre brigand, révolutionnaire et contrebandier du XVIIIe siècle, adoré par le peuple et craint par les puissants. Après la mort de Mandrin, écartelé en place publique, ses amis continuèrent son projet utopique, créant une économie parallèle dans les campagnes françaises, en volant des marchandises aux riches et en les vendant à bas prix aux paysans, pourchassés par l’armée. Avec aussi la volonté de propager ses idées, à la manière des apôtres en cherchant à faire éditer de manière clandestine les écrits de Mandrin. Le film s’intitule Les Chants de Mandrin. D’une certaine manière il anticipe Histoire de Judas en évoquant aussi un chef spirituel et ses disciples. Comme RAZ le dit lui-même, il pourrait aussi avoir pour titre Dernier maquis : les deux films sont très proches, mais Les Chants de Mandrin ouvrent une perspective historique et lyrique, pour mieux parler du monde actuel plutôt que d’illustrer une époque révolue. C’est le film le plus optimiste de RAZ, pour la simple raison sans doute qu’il se situe dans le passé, avant les autres films très contemporains, du cinéaste, donc à une époque où le rêve, l’utopie, la révolte et l’espoir étaient encore possibles. Mais cela reste un film filmé au présent, avec un mélange de licence poétique et de recherches historiques scrupuleuses (il y a dans le film un travail sur la langue française, avec des résonances très actuelles, tout à fait extraordinaire.) Si Dernier maquis évoquait le Renoir de Toni, nous sommes ici dans une filiation directe avec La Marseillaise de Renoir. Et si Dernier maquis était un western en huis clos, comme Rio Bravo de Hawks, Les Chants de Mandrin goûte à l’ivresse des grands espaces, des chevauchées et de la vie sauvage, comme dans les westerns d’Anthony Mann. Quant à Histoire de Judas, c’est un film à la fois spirituel et charnel, poétique et incarné comme ceux de Dreyer et Pasolini.

Histoire de Judas

Histoire de Judas

 

Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe?, Bled Number One et Dernier maquis sont disponibles en DVD et VOD chez ARTE vidéo.

 

Les Chants de Mandrin est disponible en DVD chez MK2 vidéo.

 

Histoire de Judas sort le 8 avril 2015 dans les salles françaises, distribué par Potemkine. C’est une coproduction ARTE France Cinéma.

 

 

 

 

 

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Histoire de Judas de Rabah Ameur-Zaïmeche

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Mercredi 8 avril sort sur les écrans français Histoire de Judas, le nouveau film de Rabah Ameur-Zaïmeche découvert lors de la Berlinale dans la section Forum.

 

 

Après une longue ascèse, Jésus rejoint les membres de sa communauté, soutenu par son disciple et intendant, Judas. Son enseignement sidère les foules et attire l’attention des résistants, des grands prêtres et de l’autorité romaine. Quand il chasse les marchands du Temple, Judas se révèle être le gardien des paroles du maître…

Nouvelle plongée dans l’histoire aux ramifications contemporaines après Les Chants de Mandrin, Histoire de Judas apparaît sans aucune trace d’ambigüité comme une entreprise de réhabilitation de Judas, figure emblématique de l’antisémitisme chrétien dont l’accusation infamante de trahison est ici balayée pour exalter son héroïsme tragique, sa loyauté indéfectible et son amitié pour Jésus. C’est un appel à la fraternité entre les hommes et au dialogue entre les différentes confessions. Rabah Ameur-Zaïmeche adopte une mise en scène à la frontalité primitive, une forme de théâtre à ciel ouvert où les comédiens, pour la plupart non professionnels, évoluent dans les paysages à la fois arides et magnifiques de l’est algérien et des Aurès, en pays berbère. Fuyant les artifices de la reconstitution historique, Rabah Ameur-Zaïmeche filme au présent des ruines, des pierres, des corps et des visages en puisant son inspiration chez Caravage et Rembrandt. Une stylisation qui n’enlève rien à l’incarnation du film. Son cinéma de poésie, moderne et politique sous son archaïsme de façade et sa dimension mythologique, évoque bien sûr celui de Pasolini, référence qui n’avait pas besoin d’un sujet religieux pour éclairer sa démarche.

 

« Comme pour un voyage dans le temps, nous traiterons des situations en nous emparant de l’histoire et en bouleversant ses espaces. Notre cinéma oscillera entre la lumière et l’obscurité, la contemplation et l’action, le sentiment et la pensée, la mise en scène et le geste brut. Les évasions, les éclats de rire et de fureur, les chants et les prières nourriront notre narration, sans omettre dans la composition des scènes des moments différents qui n’appartiennent qu’à l’instant, qu’à l’élan.

Le principe de cet élan spontané traversera l’histoire de Judas Iscariote comme une échappée liée au corps et au cœur, une louange adressée au mystère. »

(Rabah Ameur-Zaïmeche, extrait de la note d’intention pour le projet d’un film sur Judas)

 

Histoire de Judas est une coproduction Sarrazink Productions /ARTE France Cinéma distribuée par Potemkine Films.

 

 

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La fièvre monte à El Pao de Luis Bunuel

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ARTE diffuse lundi 6 avril à 22h30 La fièvre monte à El Pao (1959) de Luis Bunuel, lors d’une soirée en hommage à Gérard Philipe.

Dans l’histoire du cinéma, ce film est connu pour être le dernier de Gérard Philipe – il décédera d’un cancer du fois foudroyant quelques semaines après son retour du Mexique – et un titre mineur dans la carrière du grand Luis Bunuel.

Si la première assertion n’est guère contestable, la seconde doit être nuancée à l’aune de la redécouverte du film. La période mexicaine de Bunuel a été réévaluée depuis longtemps, ses trois longs métrages réalisés dans le système de production commercial français des années 50 pas tout à fait. Cela s’appelle l’aurore, La Mort en ce jardin, et La fièvre monte à El Pao – deux sur trois on été tournés au Mexique – méritent pourtant l’attention des cinéphiles, car c’est toute l’œuvre de Bunuel qui est admirable.

Gérard Philipe (à gauche) dans La fièvre monte à El Pao

Gérard Philipe (à gauche) dans La fièvre monte à El Pao

Ce sont des films inscrits dans la tradition des drames avec des vedettes populaires et du cinéma d’aventures, mais aussi et surtout des films politiques – antifascistes – dans le sens le plus juste du terme. Bunuel mentionnait Cela s’appelle l’aurore parmi ses films favoris, mais ne gardait un bon souvenir ni de La Mort en ce jardin ni de La fièvre monte à El Pao, qu’il désignait comme un film alimentaire. Quoi qu’il en soit, Bunuel tire vers le haut, par l’honnêteté de son point de vue et le rythme de sa mise en scène, un matériau littéraire de faible qualité.

Après l’assassinat du gouverneur d’une île d’Amérique centrale, son intérimaire (Gérard Philipe) fait preuve d’indulgence envers les prisonniers politiques, traités comme des droits communs. S’ensuivent une série de trahisons et une mutinerie aux conséquences tragiques. La conclusion du film témoigne du pessimisme et de la lucidité du cinéaste, qui n’ignore pas les conséquences de l’idéalisme et du courage dans un monde corrompu.

Dès les premières minutes Bunuel nous fait comprendre que La fièvre monte à El Pao va traiter des rapports de force et de domination, sur la scène politique, sexuelle et aussi amoureuse, avec un enchainement frénétique de situations placées sous le signe de la violence et du désir : des bagnards cassant des cailloux dans un pénitencier, une femme et son amant surpris par un autre homme, une scène de jalousie, une tentative de viol, un dialogue désenchanté sur l’engagement, un attentat meurtrier, des quartiers de viande destinés au peuple affamé, un mouvement de foule réprimé par l’armée…

Contrairement aux idées reçues Bunuel ne compense l’anonymat d’une commande en la saupoudrant de détails cruels et surréalistes tels le fétichisme récurrent des chaussures ou des jambes gainées de bas. Le film tout entier est fidèle au surréalisme, un mouvement qui n’était pas seulement esthétique, mais aussi révolutionnaire.

Jean Servais et Maria Felix dans La fièvre monte à El Pao

Jean Servais et Maria Felix dans La fièvre monte à El Pao

Si la rencontre entre Gérard Philipe et Luis Bunuel n’a pas vraiment donné des étincelles – l’acteur n’était pas fait pour le cinéaste de El – Maria Felix en femme sensuelle et sans scrupule et Jean Servais en salaud cynique et impitoyable sont parfaits. En bon lecteur de Sade Luis Bunuel s’amuse beaucoup à mettre en scène cette figure de pervers et d’exécuteur des basses œuvres de la dictature, qui parle à une perruche nommée Carlotta tout en ordonnant à la maîtresse de son ennemi de se déshabiller dans son bureau.

 

 

 

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Gallipoli de Peter Weir

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ARTE diffuse mercredi 8 avril à 20h50 Gallipoli (1981) de Peter Weir.

Ce très beau film figure au panthéon des meilleurs titres du cinéma australien. Gallipoli raconte l’une des pages les plus tragiques de la Première Guerre mondiale, à savoir la bataille des Dardanelles qui opposa l’Empire Ottoman aux soldats britanniques et français dans la péninsule de Gallipoli dans l’actuelle Turquie du 25 avril 1915 au 9 janvier 1916. Un débarquement allié échoua et s’enlisa dans une guerre de tranchées, tandis que des erreurs stratégiques des alliées conduisirent à des pertes humaines considérables et à une victoire écrasante de l’armée turque. Des troupes australiennes et néo-zélandaises stationnées en Egypte où elles s’entraînaient en prévision d’un déploiement en France rejoignirent les Anglais pour combattre à Gallipoli. La participation d’unités de volontaires australiens et néo-zélandais – désignées sous le nom de ANZAC – à la campagne des Dardanelles va devenir un élément fondateur de l’unité nationale de ces deux pays.

Mel Gibson dans Gallipoli

Mel Gibson dans Gallipoli

Peter Weir s’attaque donc à une date historique majeure de l’Australie, et bénéficie de moyens considérables pour reconstituer la bataille de Gallipoli, après trois longs métrages remarquables qui flirtaient avec le fantastique – Les voitures qui ont mangé Paris, Pique-nique à Hanging Rock, La Dernière Vague – titres emblématiques du nouveau cinéma australien des années 70. Il y a beaucoup de lyrisme dans la mise en scène de Weir, avec une glorification de la beauté sauvage des paysages désertiques de l’outback australien – dans la première moitié de Gallipoli – commune à ses trois films précédents. Malgré l’ampleur de cette fresque militaire et la beauté des prises de vue Weir ne sacrifie pas au grand spectacle et aborde son sujet à travers l’amitié entre deux jeunes Australiens, Archy (Mark Lee) et Frank (Mel Gibson, juste après sa découverte dans Mad Max de George Miller) engagés par goût de l’aventure et des voyages, unis par une passion commune pour le « sprint » – ils se sont rencontrés à l’occasion d’une compétition locale. Courir le plus vite possible, c’est d’abord vouloir fuir l’isolement et la pesanteur d’un pays qui ne laisse guère de place au rêve et à l’évasion. Mais cela ne permettra pas aux jeunes héros d’échapper à leur destin sur le champ de bataille. La boucherie de Gallipoli marquera la fin de l’innocence de toute une génération, mais aussi de l’Australie entrée de plein fouet dans la tourmente du XXème siècle.

Par ses thèmes et son style visuel Gallipoli confirme l’influence qu’a pu exercer l’œuvre de Stanley Kubrick sur le jeune Peter Weir, qui s’inspire des Sentiers de la gloire pour montrer l’horreur de la guerre de tranchées, les massacres inutiles de soldats sacrifiés à des ordres absurdes, jusqu’à la reprise des fameux travellings arrière du cinéaste américain.

Weir dépasse la portée historique de son film pour l’élargir à un message pacifiste qui fait écho au gâchis de la guerre du Vietnam. L’arrêt sur image final de Gallipoli évoque ainsi le poster « Why? » popularisé par les opposants au conflit vietnamien.

Weir comme Kubrick accorde une attention particulière à la bande originale de son film, dans laquelle se télescopent des airs de Johann Strauss et de Bizet, l’Adagio en G Mineur de Tomaso Albinoni et – plus surprenant – un extrait électronique de Oxigène de Jean-Michel Jarre pour accompagner les scènes de course qui scandent Gallipoli.

 

 

 

 

 

 

 

 

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