
ARTE propose lundi 16 juin une soirée coréenne pour le moins exceptionnelle avec la projection de deux films, un remake et l’œuvre originale : The Housemaid (Hanyo, 2010) de Im Sang-soo à 20h50 suivi à 22h50 de La Servante (Hanyo, 1960) de Kim Ki-young, figure excentrique et géniale du cinéma coréen, longtemps inconnu en dehors de son pays avant une tardive reconnaissance posthume (rétrospective de son œuvre à la Cinémathèque française, réédition de La Servante dans une version restaurée par Carlotta en 2012 en salle et en DVD.) Après un projet avorté de film tourné en France (Im Sang-soo est francophile), le cinéaste réalise The Housemaid, remake d’un classique de Kim Ki-young. L’original était un mélodrame paroxystique assez délirant, digne de Buñuel ou de Stroheim, flirtant avec le film d’horreur et que n’auraient pas renié les surréalistes. Le point de départ reste le même : Une jeune femme est engagée comme gouvernante dans une maison bourgeoise. Le mari la prend bientôt pour maîtresse. La vie de toute la maison va alors basculer. Mais le remake prend beaucoup de liberté avec son modèle et se présente comme une variation maniériste et excessive des thèmes déjà abordés par Im Sang-soo dans ses premiers films : satire de la bourgeoisie, du machisme et de la famille, étude critique des rapports de classe. Parfois proche des thrillers horrifiques de Brian De Palma (le film entretient aussi une curieuse relation avec Rebecca d’Alfred Hitchcock) The Housemaid baigne dans une atmosphère luxueuse et perverse assez insensée. Ce remake à l’érotisme glacé souffrit de la comparaison avec le chef-d’œuvre de Kim Ki-young (objet de culte en Corée) mais aussi avec Une femme coréenne et The President’s Last Bang, ses précédents longs métrages. Il faut dire que Im Sang-soo, réputé pour son humour sarcastique et son mauvais esprit, véritable poil à gratter du cinéma coréen, n’avait pas pris soin d’exprimer la moindre déférence envers le classique de Kim Ki-young.
Nous avions eu le plaisir de montrer The President’s Last Bang à la Quinzaine des Réalisateurs en 2005, première apparition d’Im Sang-soo sur la Croisette. Nous étions restés en contact jusqu’à nos retrouvailles à Cannes à l’occasion de la présentation de The Housemaid en sélection officielle, que nous avions découvert quelques semaines auparavant lors de son avant-première à Séoul.
La conception de The Housemaid a été très rapide…
Je n’aurai jamais imaginé que The Housemaid puisse être présenté en compétition à Cannes. J’ai reçu le scénario en septembre dernier et je l’ai tourné en deux mois. Même le montage a été fait dans la foulée.
Il est naturel que Cannes témoigne de la puissance du cinéma coréen et de son émergence au niveau mondial. Tu en es un des acteurs majeurs. The Housemaid est une satire extrêmement raffinée. Cette nouvelle version est différente de La Servante de Kim Ki-young.
Je ne suis pas un grand fan de Kim Ki-young. Je le connaissais surtout comme une figure légendaire du cinéma coréen. Lorsque j’ai réalisé ce film, j’ai compris aussi qu’il était un personnage extravagant et très intéressant. Si j’en avais l’occasion, j’aimerais bien réaliser un « biopic » sur sa vie.
Ton film est plus conceptuel que l’œuvre originale de Kim Ki-young. Dans ton film, le décor de la maison du maître apparaît de façon irréelle et symbolique.
On peut en effet voir les choses ainsi mais le décor a été construit de façon réaliste. Dans tous les pays, ceux qui sont au sommet de la hiérarchie sociale mènent une vie extrêmement luxueuse tout en protégeant leur intimité.
J’ai dû mal à imaginer que de pareils gens existent ! Je me rappelle un scénario dont tu m’avais parlé lors de ton séjour à Paris il y a quelques années. Qu’est devenu ce projet ? En voyant The Housemaid, il m’a semblé y retrouver des éléments comme par exemple le décalage entre riches et pauvres, le conflit entre les classes sociales…
Dans ce projet, je voulais parler de discrimination raciale de façon assez érotique. Le fait que The Housemaid soit invité à Cannes représente une vengeance naïve contre la production française de ce projet. C’est un plaisir secret pour moi (rires.)
Entretien réalisé avec le journaliste Son Taek-kyun à Cannes le 17 mai 2010 et publié dans le quotidien coréen « Donga » le 19 mai 2010. Traduit du coréen par Seo Seung-hee. Remerciements à Im Sang-soo.