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La Dernière Maison sur la gauche de Wes Craven

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La Dernière Maison sur la gauche (Last House on the Left, 1972) demeure l’un des films les plus dérangeants jamais réalisés. Wes Craven, issu comme son producteur Sean S. Cunningham (futur réalisateur de Vendredi 13) de l’industrie « underground » du cinéma porno, refusa longtemps d’en parler, honteux d’être allé trop loin à l’époque. Il s’agit d’un remake approximatif de La Source de Bergman, ce qui démontre que Craven n’avait pas perdu toutes ses lettres en sombrant dans la fange de Hollywood Boulevard. Dans un paysage bucolique, deux jeunes filles sont violées et assassinées par des voyous, qui subiront la vengeance d’une sauvagerie inouïe des parents des victimes, des bourgeois libéraux, devenus enragés par la perte de leurs enfants, mais aussi par l’impuissance ou l’indifférence de la police. Perçu comme une apologie nauséeuse de l’autodéfense, le film fut hâtivement taxé de crypto-fasciste, à l’instar de la série des Death Wish avec Charles Bronson. Malgré une complaisance évidente dans la violence graphique (horreur des viols des jeunes filles, castration buccale d’un des violeurs, dents éclatées au burin…), typique du cinéma d’exploitation, le film est plus complexe qu’il n’y paraît. Certains commentateurs furent assez perspicaces pour déceler dans La Dernière Maison sur la gauche un brûlot libertaire à l’instar des films de zombies de George A. Romero, qui fustige les valeurs morales de l’Amérique, en se livrant à une attaque frontale de la famille et de la propriété. La suite de l’œuvre de Craven, avec des films aussi politiques que La Colline a des yeux, L’Emprise des ténèbres ou Le Sous-Sol de la peur, allait leur donner raison. Le film de Craven s’inscrit dans une thématique très américaine de la vengeance, qui traverse beaucoup de westerns ou de films noir. Ce combo DVD/BR très riches en suppléments donne la place à des discours critiques beaucoup plus subtils et nuancés que tous ceux qu’on a pu lire ou entendre depuis la sortie du film, qui contextualisent le propos de Craven et en soulignent sa dimension contestataire. La Dernière Maison sur la gauche reste néanmoins réservé à un public très averti.

 

Avec I Spit on your grave (1979), La Dernières Maison sur la gauche est un titre fameux d’un sous-genre appelé « Rape and Revenge » : Cette édition BR/DVD proposée par ESC a la grande qualité de donner dans ses suppléments la parole à des femmes essayiste, historiennes ou écrivaines spécialisées dans la pornographie, l’érotisme ou le cinéma d’exploitation – Célia Sauvage, Clara Sebastian, et Violaine de Charnage, qui échangent sur ce sous-genre systématiquement défini comme misogyne et antiféministe, le « Rape and Revenge » et sur la représentation du viol au cinéma. C’est une femme, et une excellente cinéaste, Ida Lupino, qui a réalisé l’un des premiers films importants sur ce sujet : Outrage (1950). Certains films abordent le viol et ses conséquences de manière sérieuse et empathique : La Source de Bergman, L’Ange de la vengeance d’Abel Ferrara, Lipstick de Lamont Johnson… Les trois essayistes rappellent la dimension héroïque de ces femmes qui se vengent des hommes, en citant aussi de films plus « mainstream » comme Les Accusées ou Thelma et Louise. Au fil d’une réflexion sur la question du viol et de la justice américaine, dans la mouvance du mouvement féministe anti-viol, elles se demandent comment les femmes peuvent se réapproprier aujourd’hui le « Rape and Revenge », réappropriation amorcée par des films comme Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi ou Revenge de Coralie Fargeat. Les écrivaines évoquent aussi les thèmes de la justice expéditive et de la peine de mort au cœur de ce sous-genre, de l’inversion du « rape and revenge » masculin (Délivrance de John Boorman), et de la virilisation de la femme violée qui décide de se venger ou qui au contraire ne renonce pas sa féminité après un traumatisme. Ce débat se révèle passionnant, sans vouloir forcément apporter de réponses définitives.

Le coffret collector contient aussi un livret signé Marc Toullec de 52 pages, les versions alternatives du film, un making of, etc. Plus un disque de bonus autour de Wes Craven vu par des jeunes cinéastes à l’occasion de la rétrospective à la Cinémathèque française, un autre disque de bonus sur le film analysé par Jean-Baptiste Thoret, qui revient sur les origines prolétaires, puritaines et rigoristes de Craven, qui fera de la violence son thème de prédilection.

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