Sergio Martino est l’un des principaux artisans du cinéma populaire italien. Il s’est illustré dans presque tous les filons successifs de cette production pléthorique des années 60-80, à l’instar de bon nombre de ses collègues. On lui doit quelques réussites dans le polar (La ville accuse), le film d’aventures (Le Continent des hommes poissons) ou le western (Manaja, l’homme à la hache), mais c’est dans les sous-genres de la comédie sexy (Mademoiselle cuisses longues) et surtout du « giallo » qu’il a donné le meilleur de lui-même, comme en témoignent ces trois films, regroupés par l’éditeur Artus sous le titre de « la trilogie du vice » (on comprend aisément pourquoi.)
L’Étrange vice de Mme Whard (1971) est le premier film de la trilogie et en contient les principaux éléments. Une femme est persécutée par le souvenir de son ancien amant qui l’avait initiée à des jeux sadomasochistes, son époux est impuissant à la protéger et elle rencontre un play-boy dont elle va tomber amoureuse. Martino opte pour traitement proche du roman-photo érotique, mais cet habillage pop dissimule une vision d’une noirceur horrible de l’humanité. Martino profite certes du succès de L’Oiseau au plumage de cristal mais ses films s’éloignent de leur source. Contrairement aux films d’Argento, les motivations criminelles chez Martino ne sont pas la schizophrénie mais la vénalité. On a souvent critiqué les « gialli » de Martino pour leur mysoginie. Il est vrai qu’ils exploitent les formes voluptueuses d’Edwige Fenech. L’égérie du cinéaste et compagne de son frère producteur Luciano est souvent filmée nue et dans des situations de détresse. Mais c’est surtout la misanthropie et plus précisément la misandrie qui reviennent comme un thème récurrent. Les hommes que croise la belle Edwige sont tous des salauds, des monstres de perversité et de cupidité), qui se dévoilent lors de brutaux coups de théâtre et retournements de situations. L’Alliance invisible (Tutti i colori del buio, 1972) a été rebaptisé Toutes les couleurs du vice (le titre italien signifie « toutes les couleurs de l’obscurité ») pour intégrer la trilogie. C’est peut-être le « giallo » le plus réussi du trio Martino-Fenech-Martino, qui se sont adjoint les services d’Ernesto Gastaldi (au scénario) et de Bruno Nicolai (à la musique.) L’Alliance invisible est un thriller érotico-satanique de toute évidence inspiré par le succès de Rosemary’s Baby, avec aussi les habituels emprunts à Hitchcock et aux machinations infernales des films de la Hammer et des Diaboliques de Clouzot, principale influence revendiquée par Martino. Le film doit beaucoup à la beauté d’Edwige Fenech, formidable incarnation des fantasmes sexuels de toute une génération de spectateurs des salles de quartier. Elle interprète dans L’Alliance invisible une jeune londonienne frigide en proie à de terribles cauchemars, bientôt sous l’emprise d’un terrifiant gourou barbu et griffu émule de Charles Manson. Le film réserve de chouettes moments de suspense et surtout d’hallucinantes séquences oniriques et psychédéliques réalisées sous l’effet de substances chimiques inconnues, notamment lors d’une messe noire où le compositeur Bruno Nicolai, au sommet de son art, se déchaîne. Le magnifique thème « sabba » de Nicolai est l’un des plus gros « tubes » du « giallo. »
Le troisième film possède un titre à rallonge qui réutilise un message menaçant envoyé par l’amant sadique d’Edwige Fenech dans le premier film : ton vice est une chambre close dont moi seul ait la clé (Il tuo vizio è una stanza chiusa e solo io ne ho la chiave, 1972). Le film se distingue des deux autres par son atmosphère gothique, même si son action reste contemporaine. Il se déroule dans un château habité par des bourgeois décadents : un écrivain impuissant et alcoolique y organise des orgies avec des hippies et humilie sa femme en public. Martino, qui fut assistant sur Le Corps et le fouet, rend hommage à Mario Bava, maître du fantastique italien. Le film s’inspire librement du Chat noir de Poe, ce qui gâche un peu la surprise de la révélation finale. Une fois de plus, un couple et des amants d’entredéchirent pour de l’argent, et entretiennent des relations sadomasochistes. Edwige Fenech joue un rôle plus secondaire, le mari e et sa femme étant interprété par Luigi Pistilli et Anita Strinberg. Une troisième pépite pour une trilogie sans faute, chargée d’érotisme et de suspense.
Très beau coffret édité par Artus avec les trois films en DVD et BR, des entretiens avec Sergio Martino, Ernesto Gastaldi et l’acteur George Hilton, plus un livret de 96 pages d’Emmanuel Le Gagne « Les vices cachés de Sergio Martino ».
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