
Onoda – 10 000 nuits dans la jungle raconte une histoire suffisamment folle pour être vraie. Sa véracité ne l’a pas empêcher d’accéder au Japon au statut de légende, mais une légende chargée de mauvaise conscience au point de devenir taboue. L’histoire d’Onoda vient rappeler le fanatisme qui conduisit certains militaires japonais à prendre des décisions extrêmes qui échappent à la raison. Se transformer en kamikaze ou choisir de continuer le combat bien après la défaite. En 1944, le jeune soldat japonais Hiroo Onoda est envoyé sur une petite île philippine où vont débarquer les Américains. Sa mission est de mener la guérilla jusqu’au retour des troupes nippones. Refusant la réalité de la capitulation du Japon, Onoda ne rendra les armes que 10 000 jours plus tard. « Film d’action sans action, film de guerre sans guerre » dixit son réalisateur, Onoda aurait pu donner naissance à un trip immobile et halluciné, ou à une épopée de l’inutile entre les mains d’un Werner Herzog. Il n’en est rien. Si le film n’est pas exempt d’une dimension psychanalytique (il s’agit pour Onoda de s’extraire de l’emprise d’un père autoritaire pour obéir aveuglement à une nouvelle figure paternelle, son chef instructeur), il se caractérise par son approche concrète et réaliste, son refus de l’esbroufe. La conception téméraire de ce film hors-normes, profondément atypique en termes de production, ne cherche pas à faire déborder le résultat du côté du grand spectacle accidenté et mégalomane type Apocalypse Now. La mise en scène de Harari se caractérise au contraire par son classicisme et sa linéarité, capable cependant d’accueillir de brèves images mentales lorsque les souvenirs d’Onoda envahissent brusquement l’écran. Harari nous invite à partager l’expérience physique du temps et de la jungle de son antihéros, confronté à la mort et à la solitude. Le style du film évoque les grands modèles japonais (Mizoguchi) mais aussi américains, de Walsh à Eastwood. Entre voyage intérieur et récit de survie se déroulant sur une trentaine d’années, Arthur Harari (dont le premier film Diamant Noir était déjà particulièrement ambitieux et réussi) livre une méditation universelle sur ce qui constitue une culture, une patrie, les vertiges de l’intégrisme et de la quête de pureté. « Onoda est une image extrême de la capacité qu’ont les hommes de se raconter des histoires, géopolitiques, idéologiques ou religieuses pour justifier l’injustifiable – une spécialité moderne dont nous héritons, où que nous vivions. » (A. Harari) Il existe dans cette destinée individuelle ancrée dans le XXème siècle suffisamment de clés pour y interpréter des crises et des errances bien contemporaines, inhérentes à l’être humain et à chaque forme de civilisation. D’une richesse et d’une beauté inouïes, Onoda – 10 000 nuits dans la jungle vient nous rappeler que le cinéma est une machine à rêver mais aussi à penser le monde.
Sortie le 21 juillet, distribué par Le Pacte.
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