
Les Hommes contre (Uomini contro, 1970) est un très grand film, l’un des chefs-d’œuvre de Francesco Rosi (avec Salvatore Giuliano et Le Moment de vérité), et aussi l’un des meilleurs longs métrages consacrés à la Première Guerre Mondiale. Il est même envisageable de le préférer à un titre plus célèbre de l’histoire du cinéma, Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, qui aborde lui aussi le sujet des mutineries et des exécutions de soldats lors des guerres de position. Rosi adapte avec son scénariste Tonino Guerra un récit d’Emilio Lussu qui avait combattu en tant qu’officier sur les collines d’Asiago, dans la région de Vénétie, lors de la résistance à l’intrusion des troupes autrichiennes. Le front s’était transformé en guerre de tranchées à la suite d’assauts très meurtriers. C’est cette expérience militaire que Lussu avait raconté dans son livre « Un anno sull’altipiano » publié en 1938. Rosi entend décrire avec la plus grande véracité possible les conditions de vie – épouvantables – des soldats italiens dans les tranchées. Le film dénonce un scandale : celui des horreurs inutiles des batailles engagées par l’armée italienne, et qui vont causer la mort de centaines de milliers de soldats, sans victoire décisive. Rosi souligne aussi l’incompétence des officiers, responsables directs de ces massacres, piteux stratèges et patriotes fanatiques. Mais Rosi n’a pas seulement des ambitions de reconstitutions documentaires. Son projet est d’aborder la Première Guerre mondiale de manière analytique, en proposant une réflexion sur cette page de l’histoire de l’Italie du XXème siècle. En effet, le film anticipe la lutte des classes à l’intérieur de l’armée, début de l’alliance entre les ouvriers et les paysans, réunis sous le même drapeau, et conduits par des officiers socialistes qui se révoltent contre les ordres absurdes et criminels de leurs supérieurs, membres de la bourgeoisie ou de l’aristocratie. Rosi a déclaré ne pas avoir voulu faire un film antimilitariste, mais montrer, durant la guerre, « l’oppression d’une classe par une autre, d’une culture par une autre. »
La mise en scène de Rosi réussit la synthèse entre le vérisme du grand cinéma italien d’après-guerre – il fut l’assistant de Visconti – et la sobre efficacité du cinéma classique américain. La photographie de Pasqualino De Santis est superbe, et donne aux scènes de combats et de tranchées une dimension spectrale. L’interprétation est magnifique, dominée par Gian Maria Volonté en lieutenant humaniste et Alain Cuny, inoubliable dans le rôle du Général Leone, fou furieux qui symbolise la monstruosité du commandement militaire. Le thème de la décimation, au cœur du film, resurgira dans Cadavres exquis où une autre figure maléfique du pouvoir, le président de la cour suprême Richès (Max von Sidow), déclare dans un monologue délirant que « la seule justice possible dans une société comme la nôtre est la décimation. »
Les Hommes contre est disponible en DVD chez ESC. Comme pour Cadavres exquis, on peut regretter l’absence d’une édition blu-ray.

Mark Frechette dans Les Hommes contre de Francesco Rosi
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